Un jour, il avait vu un père attraper un fou rire à la crémation de son fils. Le malheureux s’était suicidé une semaine plus tard.
— Je vais chercher l’antiseptique, se contenta-t-il de dire.
Dans le salon, Clara courait comme une folle après Grin’ch, mais il ne s’en soucia pas. En entrant dans le laboratoire, il se précipita vers la machine à écrire. Il avait beau les connaître par cœur, il voulait relire les dernières phrases qu’il avait tapées.
À bout de forces, la femme très maigre, aux courts cheveux noirs, aperçut eniln le chalet. Sa délivrance.
Il braqua un œil inquiet sur la photographie de l’entomologiste. L’homme à l’index coupé... Les numéros, et maintenant cette histoire jaillie d’un livre ouvert... Juste un mauvais hasard ?
— Non... Ne parle plus de hasard ! maugréa-t-il.
Mais quoi ? Quoi alors ?
L’inexplicable.
L’inexplicable, qu’il traînait partout dans son sillage. Comme une malédiction.
Il s’empara d’un flacon d’eau oxygénée, rangé entre des seringues emballées, du formol, des aiguilles. De quoi embaumer un mort. Puis il chaussa ses après-ski et enfila son blouson. Il fallait savoir.
La Chose...
David rejoignit les autres en même temps qu’Adeline, qui revenait dans la chambre avec un verre d’eau. À peine avait-il poussé la porte que Cathy l’agressa :
— Où tu vas comme ça ?
— Je vais essayer d’atteindre la route. De dénicher sa voiture.
— Hors de question !
— Bonne idée, approuva Arthur. Nous n’avons trouvé aucun papier sur elle, pas de portefeuille... Si vous pouviez les récupérer, de même que des vêtements.
— Hors de question, j’ai dit !
Adeline donna les clés du 4x4 à David. Elle lui tendit également son couteau, avec le fourreau.
— Prenez ceci... Au cas où...
David s’empara avec précaution de la ceinture de cuir. Qu’est-ce qu’Adeline pouvait bien faire avec une arme pareille ?
— Pas question que tu t’aventures seul là-bas ! gronda Cathy, tout en nettoyant les plaies. C’est complètement stupide ! Il suffit de la réveiller, et de lui demander ce qui s’est réellement passé !
— Si tu continues à crier ainsi, c’est sûr qu’elle va se réveiller ! Laisse-la se remettre, elle est morte de fatigue ! En plus, elle ne parle peut-être pas français... ni anglais. Quelqu’un comprend l’allemand, ici ? Moi, je sais à peine compter jusqu’à dix.
— Quelques mots, j’ai appris sur le tard, répondit Adeline.
— Moi je le comprends, enfin je le lis plutôt, fit Arthur.
— David ! Tu ne partiras pas seul ! répéta Cathy d’un ton sans équivoque. Tu as compris ?
— Je peux l’accompagner, proposa Adeline. À deux on...
— Ça va pas la tête ?
David s’approcha de son épouse et l’embrassa tendrement.
— Ne t’inquiète pas ma puce. Je reviens dans une heure, maximum... Fermez bien derrière moi.
Cathy l’accompagna jusqu’à la voiture avant de rejoindre Adeline, partie préparer la soupe et le déjeuner dans la cuisine. Arthur était resté dans la chambre auprès de la jeune femme.
Soudain, elle émergea.
Vivante. Elle était vivante.
19.
Cathy, le nez sur la vitre, regardait le merle au ramage de jais qui sautillait sur la neige, collectant les dernières miettes de pain. A ses côtés, Adeline malaxait des pommes de terre cuites, qu’elle pétrissait ensuite dans la farine. Elle brisa le silence.
— On pourrait peut-être arrêter de se faire la tronche, non ? Parce que moi, après ce qui vient de se passer, je vais devenir folle.
Ça va bientôt faire vingt minutes... soupira Cathy.
— Vingt minutes... Tu voudrais qu’il soit revenu avant même d’être parti ! Tu le surveilles toujours comme ça ?
— C’est que... David n’a pas vraiment conscience du danger. Enfin, ce n’est pas ce que je voulais dire... Il en a conscience, bien sûr, mais... la mort ne l’effraie pas...
— Le genre à secourir une mamie agressée par cinq lascars armés ?
— Exactement... répondit Cathy avec un sourire forcé. Adeline hocha la tête.
— Tu me diras, c’est normal, avec son métier. La mort devient... une amie, en quelque sorte.
— Tu parles... Son père est décédé dans un accident de voiture, il n’avait même pas quinze ans. Quant à sa mère...
Fauchée par la maladie. En fait, il n’a pas réellement de famille... Des oncles, des tantes, mais il ne les fréquente pas. Quand il était petit, ses parents n’ont pas cessé de déménager...
— Les miens c’est pareil, répondit Adeline. Durant toute mon enfance. C’est dur de ne pas avoir d’attaches.
Cathy plongea les mains dans les poches de son jean, rentrant la tête entre les épaules.
— J’ai l’impression qu’il cherche quelque chose derrière tous ces cadavres... Jour après jour, il inventorie les habitudes de la mort, il établit ses mouvements et ses horaires, un peu comme toi tu cuisines... Exactement ce qu’il fait de nouveau ici, avec ces carcasses... C’est... C’est ce qui me fait le plus peur chez lui, cette ambiguïté... Et j’ai le sentiment de la retrouver chez Doffre.
— Ce qui explique pourquoi ils sont si proches... Cette fascination pour l’inconnu, pour l’extrême...
Adeline se frotta les mains sur un torchon et s’approcha de la fenêtre.
— Son métier... Vous n’en parlez jamais ?