Et ce lit. Ce lit aux solides barreaux de bois.
On l’avait frappée à la tête, traînée jusqu’ici et attachée. Puis on avait disposé les médicaments autour d’elle, peut-être même cette hache, pour ajouter au supplice physique la torture morale. Quel monstre était capable d’une chose pareille ?
Emma... Qui d’autre qu’Emma ?
Son arcade, on l’avait cognée à l’arcade. Elle se rappelait s’être retournée, alors qu’elle se trouvait proche de la malle, qu’elle avait déniché quelque chose à l’intérieur. Quoi ?
Elle leva son épaule gauche et s’y frotta les yeux, qui rougissaient sous le sel des larmes. Elle voulut se redresser, mais la peau de ses poignets la brûla. Elle agrippa un barreau de la main droite et tira à se rompre les tendons. Le bois craqua légèrement... sans se briser. Ses doigts commençaient à geler. Le froid pénétrait aussi les mailles de son pull en laine.
Un frémissement, dehors. La jeune femme se raidit.
— II... Il y a... quelqu’un ?
« Rien. Sûrement le vent qui agite les branches », se dit-elle.
Elle venait à peine de se rassurer que la neige se mit à crisser. Un bruit de plus en plus distinct.
Envahie par la peur, tremblante, Adeline ne parvenait plus à contrôler le tintement des menottes sur le bois des barreaux. Les odeurs d’urine, la puanteur ambiante. Des lynx ? Impossible. Des animaux sauvages ne squatteraient pas une vieille bicoque. Quoi alors ? Le pauvre arriéré ? Ce Franz ?
— Christian ?
Pourquoi avoir crié ce prénom, alors qu’elle pensait à Franz ? Toujours l’image de cet entomologiste au doigt en moins, dans sa tête. Cette carrure, ce regard. Les quadrillages de plaies, dans les orbites des lapins décharnés... Peut-être pas l’œuvre d’un chasseur.
— Christian ? Répondez, je vous en prie !
Les crissements s’estompèrent un temps, avant de s’éloigner.
Le silence de la grande forêt reprit ses droits.
Une chose était certaine. Qu’il s’agisse de Franz, de Christian, ou de la Chose, il y avait un rapport avec Emma.
Et si c’était cette brune maigrichonne, la dingue qui avait trucidé ces lapins, dérobé les volets, crevé leurs pneus et qui l’avait traînée jusqu’ici ?
Et si le loup était entré dans la bergerie ?
35.
— Il s’obstine. Il s’obstine à me haïr. Il me hait. C’est sûr. Je fais tout pour lui et il me déteste. Ça ne marchera jamais. C’est parce qu’il m’a vue. Il m’a regardée, observée, il m’a... Ça... Ça a brisé la vision qu’il avait de Miss Hyde. Je ne lui plais pas. Je m’en doutais. Il n’aurait jamais dû me rencontrer ! Je ne suis pas belle ! Miss Hyde, elle, a du charme, une jolie écriture, elle... elle stimule l’imagination. Mais moi... Une pauvre paumée. On devrait lui dire que je suis Miss Hyde. Arthur, on devrait lui dire. Ce serait une bonne idée.
Arthur força Emma à s’agenouiller devant lui.
— Emma ! s’exclama-t-il d’une voix rude. Je pense qu’il l’a deviné !
— Mais... Mais il aurait dû m’aimer alors, puisqu’il aime Miss Hyde !
Le vieil homme se pencha au-dessus d’elle et lui massa tendrement le cuir chevelu. Longtemps. Très longtemps. Il semblait ailleurs, et heureux.
— Arthur ? Tu dois me dire ce qu’il faut faire... Il faut me dire, Arthur. David... David, je ne veux pas le perdre !
— Laisse-lui le temps de venir à toi, de t’apprécier autrement que par tes écrits. Il s’accroche encore à son épouse, c’est normal. Mais l’image qu’il a d’elle va vite se dégrader. C’est elle qu’il finira par haïr, pas toi.
Il fit un mouvement du menton.
— Donne-moi le vase !
Elle lui tendit la porcelaine rose, puis s’agenouilla à nouveau, avant de se tirer violemment à plusieurs reprises la peau de l’avant-bras.
— Il m’a dit tellement de fois que j’étais importante à ses yeux ! Je... Oh, Arthur, il est si différent aujourd’hui ! J’ai peur...
— « Pour ma plus grande fan », « je vous embrasse », « espérant vous rencontrer un jour ». C’est à
— Justement ! Il m’a trahie ! II... Il m’a tailladé la figure, il m’a suspendue avec les porcs ! Avant de... de me mettre ton... ton machin dans la main ! C’était écrit, noir sur blanc ! Je pourrais te citer chaque phrase, chaque virgule ! II... Il a été odieux avec nous !
Arthur lui posa l’index sous le menton pour la forcer à relever la tête.
— C’est pour cette raison que nous sommes obligés de le punir. Et que nous le punirons sévèrement, à chaque fois que ce sera nécessaire...
Elle serra les poings.
— Ces méthodes ne me plaisent pas. Tu le sais, Arthur... Tu sais que quand je suis en colère, je fais des choses pas bien. Et en plus, quand j’ai pas mes cigarettes... Tu m’avais promis de ne pas les oublier... Un rien m’irrite. Tu... Tu dois me protéger de ces accès de violence... Si... Si toi tu ne me protèges pas, qui le fera ? Je... Je ne veux pas retourner à l’hôpital.
Elle se releva et s’éloigna à reculons.
— Emma... Viens là... miaula Arthur.
— Non, Arthur, non ! Je... Je... Je ne lui ferai plus de mal !