Arthur frappa du poing sur le bras de son fauteuil. Emma se raidit et leva vers lui un regard craintif.
— Emma ! Tout de suite !
Elle se mordilla les doigts, hésitante. Ses épaules retombèrent. Elle s’approcha d’Arthur et posa son oreille sur les jambes rigides. Il se remit à caresser son vase. Les flammes crépitaient, furieuses dans l’âtre.
— Tu sais combien je t’aime, murmura Arthur. Comme mon enfant...
Il retourna l’objet en porcelaine de Chine et palpa son bord ovale.
— Je ne veux pas te voir souffrir, poursuivit-il. Mais tu sais bien que ce sont les punitions les plus dures qui font les êtres les plus aimants. David a déjà prouvé à maintes reprises combien tu comptais pour lui. Pourtant, une carapace de fierté et d’orgueil lui interdit de s’ouvrir à toi. Cette carapace, nous allons la briser ensemble. Toi et moi. D’accord ?
Elle acquiesça, au bord des larmes.
— Je sais que tu ressens beaucoup de peine pour Adeline. Que tu étais très en colère quand tu l’as emmenée là-bas. Mais essaie de me comprendre... Adeline, je la connais depuis longtemps, et moi aussi, j’ai eu du chagrin... mais elle n’a pas fait que des choses bien dans sa vie, crois-moi. Elle... C’était quelqu’un de diabolique. Une mauvaise fille dont le seul et unique but était de nous nuire, à tous les deux. Tu le sais qu’elle voulait nous nuire et s’accaparer David, n’est-ce pas ?
— Oui. Oui... Arthur... Je... Je ne sais plus...
— Tu as bien fait, Emma. C’était la seule solution pour vous réunir, Clara, David et toi. Ta nouvelle famille.
Le visage d’Emma s’illumina. Sa famille...
Les phalanges d’Arthur se crispèrent autour de la nuque de la jeune femme, ses ongles pénétrèrent sa chair. Emma eut mal mais ne dit rien.
— Tu sais mieux que quiconque combien la vie peut être dure et cruelle, poursuivit-il. Que personne ne viendra te secourir si tu t’enfonces. Moi, j’ai toujours été là. Dans les moments les plus noirs. Je t’ai fait connaître David, ses écrits... Je t’ai offert le moyen de l’approcher... Tout ce temps que j’ai passé avec toi, à rédiger les lettres de Miss Hyde... Tu n’oublies pas, n’est-ce pas, Emma ?
— Je n’oublierai jamais...
Arthur baissa les paupières et expira profondément.
— Très bien. Il est primordial que tu fasses ce que je te dirai.
Un craquement de bois mort les fit sursauter. La vibration remonta dans le chêne avant de gagner toute la charpente. Les poutres gémirent.
— Qu’est-ce... que... c’était ? bafouilla Emma, les yeux rivés au plafond.
— Le vent...
— Non ! Non ! C’était...
— Suffit !
Clara se mit alors à pleurer dans sa chambre.
— Le jour se lève déjà ! ajouta-t-il. Va chercher la fille, s’il te plaît, et prépare-lui son lait. Autant que la petite se détende un peu. Tout à l’heure, tu joueras dans la neige avec elle. La mère doit encore être sous l’effet du sédatif, mais prends garde. Elle est très agressive.
— Je sais, répliqua Emma en s’emparant du fusil. Je serai prudente.
Quand elle disparut, Arthur plongea la main à l’intérieur du vase couleur chair et en toucha les parois internes. Tout le haut de son corps se tendit comme un arc.
36.
Il y avait d’abord eu la brume. Ce flou nauséeux qui avait accompagné la sortie du sommeil. Puis, très vite, le souvenir de la piqûre dans le dos et ces mots, les derniers qu’Emma avait prononcés avant que la vague de l’inconscience n’emporte Cathy : « Je ne vous laisserai plus lui faire de mal. »
La jeune femme tenta de se redresser. Elle fut prise d’un vertige qui la plaqua de nouveau sur le matelas. Elle se sentait hideuse, sale, en rupture complète avec l’image de la battante qu’elle était jadis. Une éponge. Elle se voyait comme cette vieille éponge qu’on jette sur les rings de boxe, à la fin des combats.
Tout juste réveillée et, déjà, prête à pleurer.
Détruite.
Depuis l’extérieur, lui parvint le son d’une voix qui fit affluer le sang dans ses tempes. Elle réussit enfin à se décoller du lit. La main contre le mur, elle tituba vers la fenêtre. La drogue encore présente dans son organisme rendait sa bouche pâteuse et lui donnait envie de vomir.
Les rayons du soleil transformaient la neige en un miroir aveuglant. Cathy ferma les yeux, éblouie, puis les rouvrit progressivement. Dans son champ de vision, deux silhouettes.
Emma et Clara. Sa fille, emmitouflée dans son épais blouson, ses gants, son écharpe et son bonnet Oui-Oui. Et qui riait à pleine gorge, tandis qu’Emma lançait des boules dans les branches et provoquait une pluie de flocons.
Son enfant, aux côtés d’une folle.
Cathy tambourina sur le plexiglas, hurlant désespérément le prénom de son bébé.
— Clara ! Clara ! Clara !
La fillette se retourna, souriante, lui fit de grands signes de la main, avant de s’élancer à la poursuite d’Emma, de sa démarche maladroite.
Elle tournait le dos à sa mère.