David sentit les perles de sel se figer au bord de ses yeux. Vint le moment où il n’entendit plus que le battement de son cœur.
Puis, ce bruissement caractéristique des pas dans la neige.
Le monstre approchait.
Il allait souffrir. Puis mourir.
Il songea à sa famille... Son épouse et son enfant, heureuses, quelque part. Clara grandirait. Elle vivrait et elle grandirait.
On se rapprochait de lui, d’un pas déterminé, celui d’un bourreau paré pour l’office. Puis il aperçut, au-dessus de lui, cette face en sang, au nez décalé, qui bleuissait déjà.
— S’il vous... plaît, Emma, ne me fai... faites pas... de mal, gémit-il en essayant de relever la nuque. Je vais vous... aimer... Je vais vous aimer... aussi fort... que je le... pourrai...
Elle se redressa et poursuivit son chemin, le fusil sur l’épaule.
— Pi... tié ! Emma ! Lai... ssez-les ! Lai... ssez-les ! Je... vous... en prie...
Il ne sut combien de temps s’écoula avant qu’une violente claque le ramène à la conscience. Ses cheveux étaient prisonniers du gel, ses lèvres collées par le froid. Il ouvrit les yeux, elle se tenait au-dessus de lui, dans une espèce de flou, les gencives luisantes, un rictus monstrueux aux lèvres. Elle tendit la main au ciel puis lâcha de petits cylindres métalliques qui vinrent lui frapper le front. Il tourna la tête, la joue gauche enfoncée dans la glace.
Devant son nez, trois douilles vides, encore fumantes, à l’odeur de poudre entêtante.
Il voulut crier mais n’eut, au fond de la gorge, que l’écho de sa propre détresse.
Sa main tenta de frapper devant lui, dans un mouvement désespérément ralenti.
Emma esquiva puis se baissa au niveau de la jambe prisonnière. Elle appuya de toute sa hargne sur les mâchoires puissantes, dans un grognement bestial.
Cette fois, David accoucha d’un cri qui transperça la forêt, avant de s’évanouir de nouveau.
— Je croyais en toi. J’ai tout sacrifié pour toi. Mes nuits, mon métier, mon avenir... Arthur et moi, on va te faire passer l’envie de t’échapper.
Quand elle le tira par les pieds, la tétine resta dans la neige, à proximité des douilles vides... Les trois douilles vides...
43.
— La gamine ! Idiote ! Qu’est-ce que tu as fait de la gamine ?
A bout de souffle, Emma abandonna le corps inanimé de David sur le plancher, au milieu du salon.
— L’enfant ! Où est l’enfant ?
Arthur se dirigea vers elle et la gifla avec une incroyable violence. Emma se retrouva à terre, les mains sur le visage. Son nez pissait le sang.
— Je... n’ai pas eu le choix... Je n’arrivais pas... à les rattraper. ... Alors... j’ai... j’ai tiré... Plusieurs fois... La mère portait sa fille... La balle les a transpercées... toutes les deux... Je... Je suis désolée... Arthur...
Elle pleurait, recroquevillée comme un chien. Hors de lui, Arthur la tira par les cheveux, lui saisit la main et la glissa dans son entrejambe.
— Caresse ! ordonna-t-il, tandis qu’elle s’agenouillait. Caresse ! Sale traînée !
Emma obtempéra, effondrée, terrorisée. Elle fixait son David, partagée entre la colère et un sentiment de tendresse infinie. Arthur se mit à lui palper le crâne, maladivement, comme s’il l’épouillait. Elle sentait son souffle tiède au-dessus d’elle, tandis que la chose gonflait, entre ses cuisses immobiles.
— Il faut qu’il paie ! s’écria-t-il. On va devoir lui faire mal ! Dis-moi que tu vas lui faire mal ! Dis-le-moi !
— Je... Je ne sais pas... bafouilla Emma. Arthur... Qu’est- ce qu’on a fait ?
Il lui attrapa le menton, puis lui écrasa les joues, la forçant à le regarder.
— Qui décide de ce qui est bien ou mal ici ? Qui ?
Un filet rouge vint mourir sur les lèvres d’Emma. L’os de son nez était complètement décalé, lui donnant l’air d’un personnage jailli du pinceau de Picasso.
— C’est... C’est toi... Tu décides de tout, Arthur...
— Il a désobéi ! Et tu sais ce qu’on fait aux enfants qui désobéissent ?
— On les enferme dans les caves, et on les punit ! On les punit pour qu’ils ne recommencent plus !
Elle cracha sur le sol et se redressa.
— Il m’a désobéi ! Il est machiavélique ! Je vais lui faire du mal ! C’est la seule façon !
— Bien. Maintenant tu vas rapporter le contenu de ma malle ici, sur la table. Fais ça ! Vite ! Tu me dois tout. Tu me dois ton enfance, ta jeunesse, ta vie. Alors fais ça pour moi ! On va le punir, tous les deux !
Emma réagit au quart de tour. Elle se dirigea avec résolution vers la chambre. David avait voulu fuir ! L’abandonner, alors qu’il prétendait l’aimer ! Il avait menti, pendant tout ce temps ! Les lettres, les déclarations ! Mensonges ! Mensonges !
Des flammes dévastatrices envahirent l’intérieur de son corps. Elle ne sentait même plus la douleur de son nez broyé.
Punir.
Quelques secondes plus tard, elle déposait sur la table basse ce qu’Arthur lui avait demandé.
— Et maintenant, tu vas l’attacher à l’arbre avec la corde ! De la neuf millimètres ! Tu sais pourquoi, de la neuf millimètres ?
— Non...