L’injonction n’admet pas de réplique et peu après le passage des voitures, des équipes distribuent des drapeaux à croix gammée qui bientôt vont pendre, immenses, le long des façades. À 20 h 45, les sirènes retentissent : il fait encore jour et l’on distingue les couleurs des uniformes, le rouge des brassards. Les unités de S.A. se sont regroupées sur les différentes places de la ville et la S.A.- Standarte 219 est même rassemblée sur le terrain de sports en direction de la Kopfstadtplatz. Mais la gloire revient aux S.S. et à l’organisation du Parti qui sont réunis sur l’Adolf-Hitler Platz. Et la foule aussi est là, innombrable, disciplinée, moins vive qu’à Berlin, plus passive : mais elle est présente, employés des firmes métallurgiques, ouvriers, femmes, enfants se pressant derrière les S.S. et les S.A. À 20 h 45 précises, le Gauleiter Terboven monte à la tribune dressée sur l’Adolf-Hitler Platz. Terboven grave, les mâchoires serrées, fier, hautain, transformé depuis que le Führer a assisté à ses noces, précisément quelques heures avant de réduire dans sa poigne de fer les traîtres. Maintenant il parle et son discours est retransmis sur les cinq places d’Essen de la Kopfstadtplatz à la Pferdemarktplatz et l’on entend les applaudissements de la foule qui viennent parfois à contretemps.
« La fidélité est quelque chose de fondamental, déclare Terboven, l’abcès a été vidé, il existe des éléments corrompus comme il en existe partout. Mais ce qui compte, c’est de savoir comment on réagit contre la gangrène ».
La foule de temps à autre interrompt Terboven pour applaudir et quand il lance le Sieg Heil ! un immense cri repris par les unités de S.S. et de S.A. roule de place en place. D’autres responsables s’avancent et parlent, à leur tour, puis c’est le défilé qui commence cependant que la musique S.S. impressionnante, ses musiciens vêtus de noir frappant en cadence les tambours drapés d’emblèmes à tête de mort, joue Im Ruhrgebietnmarschiere wir (nous marcherons dans la Ruhr). Passent les unités S.S. et la foule qui les regarde, la foule qui ne sait rien de précis, à les voir ainsi en tête du cortège objet de toutes les attentions officielles, devine qu’ils sont le nouveau visage du régime hitlérien. Dans d’autres villes d’Allemagne, partout les S.S. sont à l’honneur. Dans la chaude nuit d’été, la foule se disperse silencieuse et les unités S.S., acclamées et flattées, regagnent leurs cantonnements. Les hommes de l’Ordre noir, officiers ou soldats sentent qu’ils ont, au terme de cette Nuit des longs couteaux, gagné la partie.
LE FÜHRER ET LA JUSTICE SUPRÊME
Ce même soir, Frau Papen et ses filles regagnent Berlin. Elles sont inquiètes : Frau Tschirschky les a prévenues que son mari avait été arrêté et elles ne savent pas quel a été le sort réservé au vice-chancelier. Devant la villa, la voiture de police stationne toujours et le capitaine chargé de la surveillance est encore présent, installé dans l’entrée. Mais Franz von Papen est vivant, hors de lui, maudissant les nazis et cette mise à l’abri forcée qu’on lui a imposée. Pourtant le lendemain, mardi 3 juillet, sa ligne téléphonique est rétablie et le premier appel vient de Hermann Goering : « Il eut l’impudence de me demander pour quelle raison je n’assistais pas à la réunion du cabinet qui allait commencer, explique Papen. Pour une fois, je répliquais d’un ton nettement trop vif pour un diplomate. Goering exprima sa surprise d’apprendre que j’étais toujours plus ou moins aux arrêts et me pria d’excuser cette omission. Un peu plus tard, en effet, les hommes qui me gardaient furent retirés et je pus me rendre à la Chancellerie. »