D’ailleurs, durant toute la journée de ce vendredi 29, Hitler a échangé des messages avec Hermann Wilhelm Goering et, chaque fois, la voie aérienne a été choisie. Un appareil a décollé, soit de l’aérodrome d’Essen, soit de celui de Hangelar près de Bonn pour Tempelhof. De là, un courrier rejoint Goering qui a communiqué avec Hitler de la même façon. Souci du secret, de la rapidité, mais aussi marque du style de Hermann Goering qui cumule les fonctions, à la fois de ministre sans portefeuille dans le cabinet de Hitler, de ministre de l’Intérieur du gouvernement prussien, de commissaire du Reich pour l’Aviation. Du Reichsminister Goering, le Chancelier sait qu’il n’a pas à craindre une quelconque complicité avec la Sturmabteilung et son chef d’État-major Roehm.
On raconte parmi les dignitaires nazis et naturellement le Chancelier est au courant, comment le 15 septembre 1933 les deux hommes se sont discrètement, mais nettement heurtés.
Hermann Goering voulait présider, le jour de la séance inaugurale du nouveau Conseil d’État, une grande parade des forces nazies : S.S. et S.A. rassemblés devaient défiler devant lui seul. Mais Roehm et Karl Ernst, écartés de la cérémonie, avaient fait comprendre que si elle se déroulait sans eux l’indiscipline régnerait dans les rangs des Chemises brunes, ridiculisant Goering. Ce dernier fut contraint de s’incliner. Cent mille hommes, en brun et en noir, furent rassemblés, mais les S.A. et les S.S. défilèrent au pas de l’oie devant les trois chefs nazis. Ernst et Roehm avaient fait reculer Goering. Il n’était pas homme à l’admettre et d’autant plus que son opposition à Roehm était ancienne, profonde, faite de bien d’autres choses que de la rivalité née d’une parade à partager.
Avec Karl Ernst aussi il y a de vieux comptes et des liens anciens, liens troubles de la complicité.
Au moment où devant la Cour suprême de Leipzig s’ouvre, le 21 septembre 1933 le procès contre les communistes et Van der Lubbe, accusés d’être coupables de l’incendie du Reichstag, en février 1933, une fête des S.A. bat son plein dans un grand hôtel de Berlin. On boit sec, on chante, des hommes oscillent se tenant par les épaules au rythme des chants guerriers du nazisme. Dans un coin, entouré de courtisans respectueux et admiratifs, il y a l’Obergruppenführer Karl Ernst qui parle et boit. On évoque l’ouverture du procès de Leipzig contre le communiste Dimitrov, les causes de l’incendie du Reichstag. Personne ne parle de la culpabilité de Goering ou de celle de Roehm qui aurait placé à la disposition du Reichminister un groupe de S.A. décidés à mettre le feu au bâtiment afin de donner un prétexte à la répression qu’un mois après la prise du pouvoir, les nazis veulent exercer.
Mais l’Obergruppenführer Ernst part d’un grand éclat de rire, on le regarde, on se tait : « Si je dis oui, c’est moi qui y ai mis le feu, je serai un foutu imbécile, lance-t-il. Si je dis non, je serai un foutu menteur », et il rit à nouveau. Ces complicités entre un exécutant et l’organisateur d’un forfait sont toujours dangereuses : Ernst et Goering ont raison de se méfier l’un de l’autre. Et d’abord l’Obergruppenführer Karl Ernst, car Goering n’est pas homme à tolérer les obstacles.
Déjà pendant la Première Guerre mondiale, le brillant officier d’aviation, au regard métallique dans un visage beau, régulier, apparut à ses camarades comme l’homme qui sait atteindre son but, à n’importe quel prix. C’était un officier dur, autoritaire : « Cela se voyait à ses gestes et à sa façon de parler », dira le lieutenant Karl Bodenschatz. Pilote aux multiples victoires, Goering a collectionné les décorations : Croix de fer, Lion de Zaehring avec épées et surtout l’Ordre pour le Mérite, la plus haute décoration de l’armée allemande. Le voici lieutenant, commandant de l’escadrille Richthofen, prêt à faire tirer sur les révolutionnaires.
Quand l’armistice tombe sur l’Allemagne, Goering, le brillant héros, fait partie de ces officiers révoltés qui crient à leurs camarades la nécessaire désobéissance au nouveau régime. Il le fait un soir, à l’Opéra de Berlin, interrompant le ministre de la Guerre, le général Reinhard. « Camarades, lance-t-il, je vous conjure d’entretenir votre haine, la haine profonde, la haine tenace que méritent les brutes qui ont déshonoré le peuple allemand... Mais un jour viendra où nous les chasserons de notre Allemagne. Préparez-vous pour ce jour. Armez-vous pour ce jour. Travaillez pour ce jour ».