Bientôt, Goering quitte l’armée, refusant de servir un gouvernement républicain ; il entre dans l’industrie aéronautique, voyage, et en Suède, par hasard, il rencontre Karin von Kantzow, mariée à un aristocrate suédois. Elle est d’une beauté régulière, d’une douceur et d’une grâce fascinantes. Goering s’éprend d’elle ; c’est une passion romantique et absolue. Les voici en Allemagne, mariés, amoureux l’un de l’autre, tous deux ardemment nationalistes et bientôt, dans la capitale bavaroise, Goering rencontre Hitler. « Il cherchait depuis longtemps un chef, racontera-t-il, qui se serait distingué d’une manière ou d’une autre pendant la guerre... et qui jouirait ainsi de l’autorité nécessaire. Le fait que je me plaçais à sa disposition, moi qui avais été le premier commandant de l’escadrille Richtofen, lui paraissait être un coup de chance ».
Rapidement Hermann Goering devient le responsable de la Sturmabteilung, créée par Ernst Roehm. Ainsi pour la première fois, les routes des deux hommes se croisent. Mais Goering, ancien combattant qui fait figure de héros national, auréolé de la gloire qui touche les pilotes survivants, Goering, lié aux milieux traditionnels de l’armée et de l’aristocratie, mari d’une comtesse suédoise, riche des deniers de son épouse, Goering est une personnalité très différente de celle du capitaine des tranchées. Goering est ainsi dès le début le lien entre Hitler et la société traditionnelle, un moyen aussi pour le chef du parti nazi d’opposer une force à Roehm, de ne dépendre de personne en jouant sur les rivalités entre ces anciens officiers si opposés.
Goering va payer cher dans son corps son entrée au parti nazi et les responsabilités qu’il y assume. Lors du putsch manqué du 9 novembre 1923, quand dans les rues défilent les S.A., que le garde du corps de Hitler crie aux policiers qui forment un barrage compact : « Ne tirez pas, le général Ludendorff arrive », que les premiers coups de feu claquent sinistrement, que Hitler s’enfuit, que Ludendorff imperturbable continue d’avancer, Hermann Goering s’écroule, gravement blessé à l’aine. On le pousse dans l’encoignure d’une porte. II perd son sang. On le panse sommairement et l’on réussit à le soustraire à l’arrestation. Mais la blessure est mal soignée dans les conditions de la clandestinité, et bientôt pour calmer la douleur on lui administre des doses toujours plus fortes de morphine. Il grossit, son visage s’affaisse, le regard se voile et le svelte et autoritaire officier de 1918 n’est plus, vers 1923, qu’un morphinomane obèse, atteint de crises d’épilepsie et que l’on doit interner. Mais il se reprend, suit des cures de désintoxication, et surtout se grise d’action politique : député, mandataire des nazis dans les milieux de la grande banque et de l’industrie, dans les centres militaires, il est bientôt président du Reichstag, bientôt ministre de l’Intérieur du gouvernement prussien.
Actif, jouissant de sa puissance, il est soucieux d’assurer son pouvoir. Le pouvoir pour un homme comme lui qui ne se paie pas de mots, qui a vu naître dans les rues, par la violence, la domination nazie, ce sont d’abord des hommes à sa disposition, et d’autant plus que Roehm maintenant est le chef d’État-major des S.A.
Mais Goering est habile. Il ne faut pas heurter de face ce rival qui commande à des millions d’hommes. Alors le Reichsminister Goering louvoie : contre Roehm et pour détruire aussi les adversaires du nazisme. « Frères allemands, s’écrie-t-il à Francfort le 3 mai 1933, aucune bureaucratie ne viendra paralyser mon action. Aujourd’hui, je n’ai pas à me préoccuper de justice, ma mission est de détruire et d’exterminer... Je ne mènerai pas un tel combat avec la seule puissance de la police, cette lutte à mort, je la mènerai avec ceux qui sont là devant moi, les Chemises brunes. » Il suffit à 25 000 S.A. et à 15 000 S.S. de passer un brassard blanc sur leurs chemises brunes ou noires pour devenir des policiers, représentants officiels de l’État. Mais, en même temps, il faut réduire la puissance d’Ernst Roehm. Roehm qui parle toujours de liquider le Reaktion alors que Goering est au mieux avec les magnats de la Ruhr, les hobereaux prussiens et les officiers du Grand État-major.
Il y a aussi que dans son fief prussien Goering se heurte quotidiennement à la puissance de la Sturmabteilung. Les conseillers S.A. sont dans toutes les administrations ; les préfets de police prussiens portent l’uniforme S.A. : tous ces hommes qui détiennent l’autorité échappent au contrôle de Goering.