Goebbels suit aussi les progrès de Himmler en marche vers la puissance secrète. Il sait que Roehm est confiant : Himmler est son vieux compagnon des temps héroïques de Munich en 1922-1923. Himmler alors faisait partie de la Reichskriegsflagge. Lors du putsch, il était derrière les barbelés, tenant le drapeau du Parti. Roehm aime son vieux camarade Himmler ; il ne s’inquiète pas de la croissance des S.S. Il trouve normal que quelques S.A. deviennent S.S. et d’autant plus que les effectifs des S.S. ne doivent pas dépasser 10 % de ceux des S.A. Goebbels, au printemps 1934, apprend d’ailleurs par ses informateurs que Roehm et Himmler se sont rencontrés.
ROEHM ET HIMMLER
Vers le début mars, on a vu arriver à Rathenow, venant de Berlin qui n’est qu’à 78 kilomètres, de nombreuses voitures officielles. Elles traversent rapidement la petite ville au moment où les ouvriers des usines d’instruments optiques quittent sur leurs bicyclettes les bâtiments gris pour la pause de midi. Les voitures s’arrêtent devant l’entrée du Gut Gross-Wudicke qui appartient à M. von Gontard.
De la voiture d’Ernst Roehm descendent aussi le S.A. Standartenführer Graf Spreti, cet aide de camp à visage de fille dont on sait qu’il est la dernière passion de Roehm, puis le S.S. Gruppenführer Bergmann qui est aide de camp de Roehm avec le titre de Chef Adjudant et enfin Konsul Rolf Reiner, chef du cabinet de Roehm. Lui aussi est S.S. Gruppenführer et avec Bergmann ils sont auprès de Boehm les agents de liaison de Himmler et ses informateurs. D’une autre voiture descendent Himmler et son aide de camp, l’Obersturmbannführer de la S.S. Karl Wolff. À pas lents, le groupe où se mêlent les uniformes noirs et bruns se dirige vers les bâtiments du domaine. Un repas doit y avoir lieu. La conversation est amicale.
Roehm a même familièrement pris Himmler par le bras. À table, le ton des conversations monte. Roehm qui a bu et mangé d’abondance, s’enflamme, interpelle Himmler : « Les S.S. ont une attitude conservatrice » dit-il, ils protègent la « Reaktion » et les petits-bourgeois, « leur soumission à la bureaucratie traditionnelle, à l’armée est trop grande ». Himmler se tait : il n’a pas l’habitude d’être ainsi frappé par des reproches publics. C’est son aide de camp Karl Wolff qui prendra – il s’en souvient encore des années plus tard – la défense de son chef, qui était un timide, dira-t-il, et des S.S.
Goebbels et les autres dirigeants du parti – Goering d’abord – avaient eu connaissance de la rencontre et de son objet. Himmler est apparemment toujours le second fidèle de Roehm : mais ses réseaux policiers s’étendent Goering lui envoie des intermédiaires : Pili Körner surtout qui fait la liaison entre « l’aviateur dément », comme l’appellent certains militaires, et le chef des miliciens noirs. Goering cherche à obtenir des garanties pour lui-même et à pousser Himmler et Heydrich contre Roehm.
Joseph Goebbels observe ces préparatifs. Il sait que Himmler et Heydrich rassemblent à Berlin des collaborateurs sûrs, qu’ils font venir de Munich : Müller, Heisinger, Huber, Flesch. Autour de Roehm ils resserrent le cercle.
La Gestapo et aussi des agents de renseignements de l’armée découvrent à Berlin une ancienne ordonnance du mess des officiers de Himmelstadt. Roehm avait été en garnison dans cette petite ville. L’ordonnance est maintenant restaurateur dans la capitale. Des messieurs auxquels il n’est pas question de refuser de parler lui posent des questions précises sur la lointaine vie privée du capitaine Roehm. A Himmelstadt, Roehm avait une liaison avec une jeune fille, commence par dire le restaurateur. L’interrogatoire continue. Bien sûr, ajoute-t-il, les ordonnances savaient que Roehm avaient aussi des moeurs particulières : « Vous comprenez, dit-il, il tentait toujours de se livrer, sur nous, les ordonnances, à des choses pas morales. »
Les messieurs enregistrent la déposition. Quand la police s’intéresse ainsi à la vie privée d’un ministre cela signifie, à tout le moins, que sa situation n’est plus indiscutable et que certains cherchent à constituer les dossiers de la future accusation.
C’est le mois d’avril 1934 : Roehm proclame à tous qu’il faut poursuivre la Révolution, l’achever. « Ne débouclez pas vos ceinturons », lance-t-il aux Sections d’Assaut. Et les S.A. parlent de « nettoyer la porcherie ».