Brusquement le Führer se lève. Goebbels aperçoit alors, arrivant d’un pas rapide un S.S. qu’il connaît bien : c’est le Gruppenführer S.S. Sepp Dietrich, un homme de taille moyenne, à la mâchoire carrée et puissante, aux dents éclatantes qu’il montre souvent dans un sourire large, tranquille, inquiétant même à cause précisément de ces dents bien plantées, blanches, serrées comme celles d’un fauve. Sur son uniforme noir brillent les feuilles de chêne dorées de son grade. Sans doute le Führer a-t-il convoqué Sepp Dietrich à la fin de l’après-midi et le Gruppenführer a rejoint Godesberg aussitôt, en avion d’abord de Berlin à l’aéroport de Bonn-Hangelar, puis par la route. Goebbels se tient derrière le Führer, à quelques pas : la présence de Sepp Dietrich prouve que Hitler avance dans la décision et qu’il se donne les moyens d’agir.
Car Sepp Dietrich est un exécutant fidèle qui vit quotidiennement dans l’entourage de Hitler. Il commande sa garde personnelle : une unité S.S. qui ne compte pas plus de 200 hommes, mais tous choisis avec soin. Les hommes retenus sont d’une fidélité absolue au Führer, ils possèdent de solides qualités militaires : il faut être tireur d’élite et aussi athlète accompli pour être recruté après de nombreuses épreuves de sélection. Ainsi si Hitler, est sûr de Sepp Dietrich, celui-ci est sûr de ses hommes. Il le faut, car la garde doit veiller sur la vie du Führer qui vit dans la hantise de l’attentat : à chacune de ses apparitions en public, 120 hommes de sa garde sont disposés autour de lui en trois cordons de sécurité. C’est à Nuremberg, alors que brûlent les torches des milliers de nazis présents, en septembre 1933, à l’une des premières grandes cérémonies du régime, le Reichsparteitag, que le Führer donne à sa garde le nom de Leibstandarte S.S. Adolf Hitler. Et le Führer a raison d’avoir une entière confiance dans cette unité et dans son chef : leurs yeux disent assez que ce sont des fanatiques prêts à mourir et à tuer pour leur Führer.
Le Gruppenführer S.S. salue le Chancelier du Reich. Celui-ci donne un ordre bref : « Vous allez prendre l’avion pour Munich. Dès que vous serez sur place, appelez-moi, ici, à Godesberg, par téléphone ».
Sepp Dietrich salue, claque des talons et s’éloigne. Quelques secondes plus tard, on entend le moteur de la voiture, puis son accélération brusque. Sepp Dietrich est un officier efficace, bientôt il sera dans la capitale bavaroise et de là il pourra joindre facilement, si besoin est, la petite ville de Wiessee.
BAD WIESSEE
Elle est là, blottie sur la rive ouest du Tegernsee. Le lac reflète les maisons de bois, les hôtels style 1900. Tout autour ce sont les montagnes rondes couvertes de forêts et de pâturages, c’est l’ondulement vert et apaisant de la Bavière, interrompu comme ici par un lac effilé, bleu profond, qui fait penser à une goutte de pluie démesurée restée là, entre les montagnes, eau miroitante vers laquelle courent les torrents.
Sur la promenade, à Wiessee, les couples tranquilles vont et viennent avant de regagner leurs hôtels et leurs lieux de cure. Car Wiessee a le visage apaisant des stations thermales. Les sources jaillissent dans les fontaines : eaux sulfureuses, iodées, ferrugineuses, qui permettent de tout soigner, des rhumatismes aux affections cardiaques, de la goutte aux maladies nerveuses. Les familles se pressent C’est l’heure du bain ou l’heure du massage.
Il fait frais en ces derniers jours de juin 1934. Les sommets voisins, le Wallberg, le Baumgartenberg et le Risserkogel, qui culmine à 1 827 mètres, ces lieux de promenades, sont souvent enveloppés par les nuages. Il y pleut. Il faut donc rester à Wiessee : on regarde le lac, on le traverse sur les petites embarcations accostant à Egern, à Rottach, à Wiessee. On visite le château de Tegernsee, le parc immense de l’abbaye, puis on monte vers le Grand Parapluie, cette rotonde qui permet d’apercevoir tout le panorama, le lac et la vallée de la Wiessach. Ce vendredi 29 juin, de nombreux Munichois sont arrivés, ils ont fui la capitale bavaroise écrasée sous la chaleur lourde et humide. Certains campent : leurs tentes apparaissent dans les pâturages, peut-être des membres de la Hitler Jugend.
Dans leurs promenades au bord du lac, les touristes, les curistes évitent une pension qui est un peu en retrait, c’est la pension Hanselbauer. Dans la journée elle est gardée militairement. Des voitures officielles stationnent souvent dans le parc. On dit que de nombreux chefs S.A. y séjournent et même le chef d’État-major de la Sturmabteilung, le ministre du Reich, le capitaine Ernst Roehm, qui souffre de rhumatismes.
Le Gruppenführer S.S., Sepp Dietrich, chef de la Leibstandarte S.S. Adolf Hitler vient de quitter Godesberg sur l’ordre du Chancelier pour Munich qui est à moins de soixante kilomètres de la tranquille station thermale de Wiessee.