Le 12 avril, le Deutschland pénètre dans le Sogne Fjord. Les parois noirâtres sont par longues traînées couvertes de neige. Il fait froid. L’Amirauté a choisi, en accord avec la Chancellerie, ce fjord pour saluer le Fridjoff-Denkmal, le monument construit par Frédéric le Grand. Nouvel hommage que le régime nazi rend à l’Allemagne éternelle. Tout à coup, le Führer paraît sur le pont au milieu de l’équipage. C’est l’instant de la détente après la discipline d’acier. Les matelots poussent des hourras. Les officiers un peu mal à l’aise sourient. Le Führer accepte même de se laisser photographier par des marins. Puis le navire vire de cap. Le 13, il entre dans le Hardanger Fjord et reprend sa route vers le sud. Hitler est monté à plusieurs reprises sur la passerelle, manifestement enchanté par le voyage et les conversations qu’il a eues loin des indiscrets avec le général von Blomberg. Le 14, on aperçoit le bateau-bouée de Skagen et, quelques heures plus tard, le navire arrive à Wilhelmshaven. Seul incident : lors d’un exercice, ce dernier jour, un homme est tombé à la mer.
L’ANNONCE D’UNE PERMISSION
Rentré à Berlin par avion, Hitler a regagné la Chancellerie. Son pavillon personnel hissé au haut du mât signale aux Berlinois sa présence. Des groupes patientent devant les lourdes portes guettant la relève de la garde ou la sortie d’une voiture officielle. Car le va-et-vient est permanent devant la Chancellerie en ce mois d’avril.
En effet, après la croisière du Deutschland, les décisions, les réunions politiques vont se succéder. Hitler tranche là où il hésitait depuis des semaines, comme si les conversations avec Blomherg l’avaient définitivement conduit à choisir, comme si le pacte du Deutschland n’était pas qu’une hypothèse, mais une réalité. C’est le 20 avril, que Himmler et Heydrich deviennent les maîtres de la Gestapo et au même moment Joachim von Ribbentrop, l’ancien représentant en Champagne au visage régulier et fin, l’ami de Himmler, est nommé ambassadeur extraordinaire de Hitler pour les questions du désarmement. Après les organes de police, le ministère des Affaires étrangères est ainsi à son tour pénétré par le parti nazi. Et une des premières démarches de Hitler et de Ribbentrop en matière de désarmement c’est de proposer à la France et à l’Angleterre une importante réduction de l’effectif des... S.A.
Le 20 avril, sans commentaire et en petits caractères comme une nouvelle anodine, le journal National~Zeitung publie un communiqué de l’État-major de la S.A. annonçant que la Sturmabteilung sera en permission durant le mois de juillet. Or, cette démobilisation de toute la S.A. pendant trente jours n’est pas, compte tenu des circonstances, une décision de routine, mais bien une mesure inattendue, exceptionnelle. Pourtant aucune autorité ne la commente et la nouvelle s’enfonce dans l’actualité renouvelée qui, jour après jour, apporte un élément nouveau au puzzle qui, peu à peu, se compose.
En ouvrant leur journal le 27 avril, les Allemands découvrent un communiqué officiel, encadré, en première page, qui annonce que la santé du Reichspräsident donne de sérieuses inquiétudes à ses médecins. Des photos montrent Hitler s’inclinant devant Hindenburg et déjà beaucoup comprennent que le successeur désigné ne pourra être que le Chancelier du IIIeme Reich. Des officiers maugréent, il y a d’autres candidats : le général Ritter von Epp, qui, pour être nazi et Reichstatthalter de Bavière, n’en est pas moins un membre distingué de l’Offizierskorps. Il y a aussi le Kronprinz dont on pourrait faire un régent s’il était Reichspräsident. Or, beaucoup d’officiers sont restés attachés à l’ancienne dynastie. Mais von Blomberg va leur faire comprendre qu’il ne faut plus cultiver ces chimères monarchiques. Un ordre du ministre de la Guerre parvient à mi-avril dans toutes les unités : à compter du 1er mai 1934, officiers et hommes de troupes devront arborer sur leurs képis et leurs uniformes l’aigle et la croix gammée qui sont les insignes du Parti nazi et du IIIeme Reich. Quelques vieux officiers protestent dans les salons et les mess, mais à voix basse, partout les jeunes capitaines et les soldats acceptent d’enthousiasme et puis comment s’insurger contre un ordre qui émane du chef de la caste et des dignitaires de l’Offizierskorps dont il est entendu qu’ils savent ce qu’ils font ? En prenant leur décision derrière les murs épais de la Bendlerstrasse, ils ne peuvent avoir en vue que l’intérêt supérieur de la Reichswehr, et puisqu’ils sont confondus, celui du Reich.
Ce 1er mai, alors que dans les casernes les compagnies manoeuvrent pour la première fois sous les emblèmes nazis, toutes les villes d’Allemagne connaissent les grands rassemblements du Jour National du Travail.