La nuit du mercredi 20 au jeudi 21 juin est pour l’Allemagne une nuit de veille. Sur les stades, sur les places, dans les clairières, partout brûlent des feux de bois et se rassemblent des milliers de membres des organisations nazies. Jeunes gens portant des torches, chantant des hymnes, marchant au pas cadencé. Pour la première fois en cette nuit, la plus courte de l’année, l’Allemagne célèbre une nouvelle solennité, la fête du Solstice d’été. Déjà l’inhumation de Karin avait annoncé, la veille, le début du cycle païen, maintenant il atteint sa plénitude et durant plusieurs jours il va se poursuivre.
À Verden, une petite ville de Westphalie, située sur l’Aller, Alfred Rosenberg, qui est à l’origine de ce retour au paganisme, magnifie la mémoire des 4 500 Saxons rebelles que Charlemagne fit exécuter là, en 782. Alors que les flammes hautes s’élèvent des foyers dans la nuit fraîche et claire, que les torches grésillent, Rosenberg prononce une allocution inspirée : « Hitler, déclare-t-il, est pour nous le continuateur direct de Hermann le Chérusque et du duc Witikind. L’histoire a donné raison à ce duc des Saxons. La Terre sainte n’est pas pour nous en Orient. Elle est partout, ici, en Allemagne. » Ainsi la fête de l’été devient-elle exaltation du Reich et de son Führer.
Dans l’après-midi du jeudi, à Berlin, Goebbels prend le relais de Rosenberg. Sur l’immense stade de Neuköln, devant des dizaines de milliers de Chemises brunes, la mythologie à nouveau s’anime à l’occasion de cette fête du Solstice. Pourtant ici, il n’est plus question du passé, mais du présent : « Un petit cercle de critiques s’est constitué pour saboter notre travail, dans la pénombre mystérieuse du café du Commerce... Ce sont de ridicules galopins ! » hurle Goebbels et continuant sous les applaudissements frénétiques, le ministre ajoute : « Ces cercleux qui discutent gravement de politique en se prélassant dans de bons fauteuils n’ont pas le monopole de l’intelligence... Ils représentent la réaction. L’histoire ne gardera pas leurs noms, mais les nôtres ».
Papen, membre du Club des seigneurs, vice-chancelier du Reich, est clairement désigné par Goebbels, ministre de la Propagande qui ne peut parler qu’avec l’accord du Führer. Papen lit et relit les dernières phrases de Goebbels : « Pas de Kronprinz, pas de conseiller, pas de grand banquier, pas de cacique parlementaire ! »
Cela signifie-t-il que Hitler, une fois encore, a changé de cap, choisissant le chemin de la seconde révolution ? Qu’il veut rompre avec ceux qui, éléments traditionnels et raisonnables, se sont ralliés à lui ? Hitler a-t-il décidé de rejoindre le camp de la S.A. et de Roehm, avec qui précisément Goebbels, peut-être avec l’accord du Führer, entretient encore des contacts ? Ou cela indique-t-il simplement que le Führer hésite ? L’inquiétude est grande autour de Papen, mais aussi dans les milieux proches de Himmler, de Goering ou encore à la Bendlerstrasse. Il faut donc essayer, une fois encore, de « sonder » Hitler et l’occasion se présente puisque, ce jeudi 21 juin, il doit saluer le Reichspräsident Hindenburg à Neudeck.
HITLER ET LE VIEUX MARÉCHAL.
Cependant, Hitler se rend auprès de Hindenburg, seul. Papen apprendra le voyage plus tard. Officiellement la visite de Hitler auprès du président du Reich a un but précis : faire connaître à la plus haute autorité d’Allemagne le contenu des entretiens de Venise avec Mussolini. À Neudeck au bout d’une large allée, il y a la demeure austère et massive du Feldmarschall. Des officiers, Meissner, secrétaire général de la présidence, le comte Von der Schulenburg, le colonel Oskar von Hindenburg, accueillent cérémonieusement le Führer sur le perron. On pénètre lentement à l’intérieur. Dans les vastes pièces froides semble régner déjà le silence pesant d’un mausolée. Les familiers précisent à Hitler que les visites doivent être brèves : d’ailleurs, pour l’heure, Hindenburg se repose, il somnole, il ne pourra recevoir Hitler que dans la soirée après que les médecins l’auront une nouvelle fois examiné. Le Führer mesure encore combien l’échéance est proche : il lui faudra être prêt à saisir le pouvoir suprême au moment de la mort de Hindenburg et pour cela, l’armé devra se ranger derrière lui.