Mais ces messieurs avaient des habitudes de recors, habitudes enracinées que l’on perd difficilement lorsqu’on les a une fois prises. Ces messieurs ne savaient pas se séparer de leur proie quand une fois ils la tenaient. Ainsi, le bon chien de chasse ne lâche-t-il sa perdrix blessée que pour la remettre au chasseur.
Le bon recors est celui qui, la prise faite, ne la quitte ni du doigt ni de l’œil. Il sait trop bien comme le destin est capricieux pour les chasseurs, et combien ce que l’on ne tient plus est loin.
Aussi tous deux, avec un ensemble admirable, se mirent-ils, tout étourdis qu’ils étaient, à crier:
– Monsieur Beausire! mon cher Beausire!
Et à l’arrêter par les pans de son habit de drap vert.
– Qu’y a-t-il? demanda Beausire.
– Ne nous quittez pas, par grâce, dirent-ils en le forçant galamment de se rasseoir.
– Mais comment voulez-vous que je vous donne votre argent, si vous ne me laissez pas monter?
– Nous vous accompagnerons, répondit le Positif avec une tendresse effrayante.
– Mais c’est… la chambre de ma femme, répliqua Beausire.
Ce mot, qu’il regardait comme une fin de non-recevoir, fut pour les sbires l’étincelle qui mit le feu aux poudres.
Leur mécontentement qui couvait – un recors est toujours mécontent de quelque chose – prit une forme, un corps, une raison d’être.
– Au fait! cria le premier des agents, pourquoi cachez-vous votre femme?
– Oui. Est-ce que nous ne sommes pas présentables? dit le second.
– Si vous saviez ce qu’on fait pour vous, vous seriez plus honnête, reprit le premier.
– Et vous nous donneriez tout ce que nous vous demandons, ajouta témérairement le second.
– Ah çà! mais vous le prenez sur un ton bien haut, messieurs, dit Beausire.
– Nous voulons voir ta femme, répondit le sbire Positif.
– Et moi, je vous déclare que je vais vous mettre dehors, cria Beausire, fort de leur ivresse.
Ils lui répliquèrent par un éclat de rire qui aurait dû le rendre prudent. Il n’en tint pas compte et s’obstina.
– Maintenant, dit-il, vous n’aurez pas même l’argent que j’avais promis, et vous décamperez.
Ils rirent plus formidablement encore que la première fois.
Beausire tremblant de colère:
– Je vous comprends, dit-il d’une voix étouffée, vous ferez du bruit et vous parlerez; mais si vous parlez, vous vous perdrez comme moi.
Ils continuèrent de rire entre eux; la plaisanterie leur paraissait excellente. Ce fut leur seule réponse.
Beausire crut les épouvanter par un coup de vigueur et se précipita vers l’escalier, non plus comme un homme qui va chercher des louis, mais comme un furieux qui va chercher une arme. Les sbires se levèrent de table, et, fidèles à leur principe, coururent après Beausire, sur lequel ils jetèrent leurs larges mains.
Celui-ci cria, une porte s’ouvrit, une femme parut, troublée, effarée, sur le seuil des chambres du premier étage.
En la voyant, les hommes lâchèrent Beausire et poussèrent aussi un cri, mais de joie, mais de triomphe, mais d’exaltation sauvage.
Ils venaient de reconnaître celle qui ressemblait si fort à la reine de France.
Beausire, qui les crut un moment désarmés par l’apparition d’une femme, fut bientôt et cruellement désillusionné.
Le Positif s’approcha de mademoiselle Oliva, et d’un ton trop peu poli, eu égard à la ressemblance:
– Ah! ah! fit-il, je vous arrête.
– L’arrêter! cria Beausire; et pourquoi?…
– Parce que monsieur de Crosne nous en a donné l’ordre, repartit l’autre agent, et que nous sommes au service de monsieur de Crosne.
La foudre tombant entre les deux amants les eût moins épouvantés que cette déclaration.
– Voilà ce que c’est, dit le Positif à Beausire, que de n’avoir pas été gentil.
Il manquait de logique cet agent, et son compagnon le lui fit observer, en disant:
– Tu as tort, Legrigneux, car si Beausire eût été gentil, il nous eût montré madame, et de toute façon nous eussions pris madame.
Beausire avait appuyé dans ses mains sa tête brûlante, il ne pensait même pas que ses deux valets, homme et femme, écoutaient au bas de l’escalier cette scène étrange qui se passait sur le milieu des marches.
Il eut une idée; elle lui sourit; elle le rafraîchit aussitôt.
– Vous êtes venus pour m’arrêter, moi? dit-il aux agents.
– Non, c’est le hasard, dirent-ils naïvement.
– N’importe, vous pouviez m’arrêter, et pour soixante louis vous me laissiez en liberté.
– Oh! non; notre intention était d’en demander encore soixante.
– Et nous n’avons qu’une parole, continua l’autre; aussi, pour cent vingt louis nous vous laisserons libre.
– Mais… madame? dit Beausire tremblant.
– Oh! madame, c’est différent, répliqua le Positif.
– Madame vaut deux cents louis, n’est-ce pas? se hâta de dire Beausire.
Les agents recommencèrent ce rire terrible, que, cette fois, Beausire comprit, hélas.
– Trois cents… dit-il, quatre cents… mille louis! mais vous la laisserez libre.
Les yeux de Beausire étincelaient tandis qu’il parlait ainsi: