– Je puis bien vous jurer qu’il n’est point arrêté; mais, quant au second point, vous n’aurez pas ma parole. Vous sentez bien, ma chère enfant, que lorsqu’on est signalé, on est suivi, ou recherché du moins, et qu’avec sa figure, avec sa tournure, avec toutes ses qualités bien connues, monsieur de Beausire, s’il se montrait, serait tout de suite dépisté par les limiers. Songez donc un peu à ce coup de filet que ferait monsieur de Crosne. Prendre vous par monsieur de Beausire, et monsieur de Beausire par vous.
– Oh! oui, oui, il faut qu’il se cache! Pauvre garçon! Je vais me cacher aussi. Faites-moi fuir hors de France, monsieur. Tâchez de me rendre ce service; parce qu’ici, voyez-vous, enfermée, étouffée, je ne résisterais pas au désir de faire un jour où l’autre quelque imprudence.
– Qu’appelez-vous imprudence, ma chère demoiselle?
– Mais… me montrer, me donner un peu d’air.
– N’exagérez pas, ma bonne amie; vous êtes déjà toute pâle, et vous finiriez par perdre votre belle santé. Monsieur de Beausire ne vous aimerait plus. Non; prenez autant d’air que vous voudrez, régalez-vous de voir passer quelques figures humaines.
– Allons! s’écria Oliva, voici que vous êtes dépité contre moi, et que vous allez aussi m’abandonner. Je vous gêne peut-être?
– Moi? vous êtes folle? Pourquoi me gêneriez-vous? dit-il d’un sérieux de glace.
–Parce que… un homme qui a du goût pour une femme, un homme aussi considérable que vous, un seigneur aussi beau que vous l’êtes, a le droit de s’irriter, de se dégoûter même, si une folle comme moi le rebute. Oh! ne me quittez pas, ne me perdez pas, ne me prenez pas en haine, monsieur!
Et la jeune femme, aussi effrayée qu’elle avait été coquette, vint passer son bras autour du cou de Cagliostro.
– Pauvre petite! dit celui-ci en déposant un chaste baiser sur le front d’Oliva; comme elle a peur. N’ayez pas de moi si méchante opinion, ma fille. Vous couriez un danger, je vous ai rendu service; j’avais des idées sur vous, j’en suis revenu, mais voilà tout. Je n’ai pas plus de haine à vous témoigner que vous n’avez de reconnaissance à m’offrir. J’ai agi pour moi, vous avez agi pour vous, nous sommes quittes.
– Oh! monsieur, que de bonté, quelle généreuse personne vous faites!
Et Oliva mit deux bras au lieu d’un sur les épaules de Cagliostro.
Mais celui-ci la regardant avec sa tranquillité habituelle:
– Vous voyez bien, Oliva, dit-il, maintenant vous m’offririez votre amour, je…
– Eh bien! fit-elle toute rouge.
– Vous m’offririez votre adorable personne, je refuserais, tant j’aime à n’inspirer que des sentiments vrais, purs et dégagés de tout intérêt. Vous m’avez cru intéressé, vous êtes tombée en ma dépendance. Vous vous croyez engagée; je vous croirais plus reconnaissante que sensible, plus effrayée qu’amoureuse: restons comme nous sommes. J’accomplis en cela votre désir. Je préviens toutes vos délicatesses.
Oliva laissa tomber ses beaux bras et s’éloigna honteuse, humiliée, dupe de cette générosité de Cagliostro sur laquelle elle n’avait pas compté.
– Ainsi, dit le comte, ainsi ma chère Oliva, c’est convenu, vous me garderez comme un ami, vous aurez toute confiance en moi; vous userez de ma maison, de ma bourse et de mon crédit, et…
– Et je me dirai, fit Oliva, qu’il y a des hommes en ce monde bien supérieurs à tous ceux que j’ai connus.
Elle prononça ces mots avec un charme et une dignité qui gravèrent un trait sur cette âme de bronze dont le corps s’était autrefois appelé Balsamo.
«Toute femme est bonne, pensa-t-il, quand on a touché en elle la corde qui correspond au cœur.»
Puis se rapprochant de Nicole:
– À partir de ce soir, vous habiterez le dernier étage de l’hôtel. C’est un appartement composé de trois pièces placées en observatoire au-dessus du boulevard et de la rue Saint-Claude. Les fenêtres donnent sur Ménilmontant et sur Belleville. Quelques personnes pourront vous y voir. Ce sont des voisins paisibles, ne les craignez pas. Braves gens sans relations, sans soupçons de ce que vous pouvez être. Laissez-vous voir par eux, sans vous exposer toutefois, et surtout sans jamais vous montrer aux passants, car la rue Saint-Claude est parfois explorée par les agents de monsieur de Crosne; au moins là vous aurez du soleil.
Oliva frappa joyeusement dans ses mains.
– Voulez-vous que je vous y conduise? dit Cagliostro.
– Ce soir?
– Mais sans doute, ce soir. Est-ce que cela vous gêne?
Oliva regarda profondément Cagliostro. Un vague espoir rentra dans son cœur, ou plutôt dans sa tête vaine et pervertie.
– Allons, dit-elle.
Le comte prit une lanterne dans l’antichambre, ouvrit lui-même plusieurs portes, et gravissant un escalier, parvint, suivit d’Oliva, au troisième étage, dans l’appartement qu’il avait désigné.
Elle trouva le logis tout meublé, tout fleuri, tout habitable.
– On dirait que j’étais attendue ici, s’écria-t-elle.
– Non pas vous, dit le comte, mais moi, qui aime la vue de ce pavillon et qui souvent y couche.