Il vit alors, dans une large mante noire, en bas, sous la charmille du parc, une figure de femme qui levait vers lui un visage pâle et inquiet.
Il ne put retenir un cri de joie et de regret tout ensemble. La femme qui l’attendait, qui l’appelait, c’était la reine!
D’un bond il s’élança par la fenêtre et vint tomber près de Marie-Antoinette.
– Ah! vous voilà, monsieur? c’est bien heureux! dit à voix basse la reine tout émue; que faisiez-vous donc?
– Vous! vous! madame!… vous-même! est-il possible? répliqua Charny en se prosternant.
– Est-ce ainsi que vous attendiez?
– J’attendais du côté de la rue, madame.
– Est-ce que je pouvais venir parla rue, voyons? quand il est si simple de venir par le parc?
– Je n’eusse osé espérer de vous voir, madame, dit Charny avec un accent de reconnaissance passionnée.
Elle l’interrompit.
– Ne restons pas ici, dit-elle, il y fait clair; avez-vous votre épée?
– Oui.
– Bien!… Par où dites-vous que sont entrés les gens que vous avez vus?
– Par cette porte.
– Et à quelle heure?
– À minuit, chaque fois.
– Il n’y a pas de raison pour qu’ils ne viennent pas cette nuit encore. Vous n’avez parlé à personne?
– À qui que ce soit.
– Entrons dans le taillis et attendons.
– Oh! Votre Majesté…
La reine passa devant, et, d’un pas assez prompt, fit quelque chemin en sens inverse.
– Vous entendez bien, dit-elle tout à coup, comme pour aller au-devant de la pensée de Charny, que je ne me suis pas amusée à conter cette affaire au lieutenant de police. Depuis que je me suis plainte, monsieur de Crosne aurait dû déjà me faire justice. Si la créature qui usurpe mon nom après avoir usurpé ma ressemblance n’a pas encore été arrêtée, si tout ce mystère n’est pas éclairci, vous sentez qu’il y a deux motifs: ou l’incapacité de monsieur de Crosne – ce qui n’est rien –, ou sa connivence avec mes ennemis. Or, il me paraît difficile que chez moi, dans mon parc, on se permette l’ignoble comédie que vous m’avez signalée, sans être sûr d’un appui direct ou d’une tacite complicité. Voilà pourquoi ceux qui s’en sont rendus coupables me paraissent être assez dangereux pour que je ne m’en rapporte qu’à moi-même du soin de les démasquer. Qu’en pensez-vous?
– Je demande à Votre Majesté la permission de ne plus ouvrir la bouche. Je suis au désespoir; j’ai encore des craintes et je n’ai plus de soupçons.
– Au moins, vous êtes un honnête homme, vous, dit vivement la reine; vous savez dire les choses en face; c’est un mérite qui peut blesser quelquefois les innocents quand on se trompe à leur égard: mais une blessure se guérit.
– Oh! madame, voilà onze heures; je tremble.
– Assurez-vous qu’il n’y a personne ici, dit la reine pour éloigner son compagnon.
Charny obéit. Il courut les taillis jusqu’aux murs.
– Personne, fit-il en revenant.
– Où s’est passée la scène que vous racontiez?
– Madame, à l’instant même, en revenant de mon exploration, j’ai reçu un coup terrible dans le cœur. Je vous ai aperçue à l’endroit même où ces nuits dernières je vis… la fausse reine de France.
– Ici! s’écria la reine en s’éloignant avec dégoût de la place qu’elle occupait.
– Sous ce châtaignier, oui, madame.
– Mais alors, monsieur, dit Marie-Antoinette, ne restons pas ici, car s’ils y sont venus ils y reviendront.
Charny suivit la reine dans une autre allée. Son cœur battait si fort qu’il craignit de ne pas entendre le bruit de la porte qui allait s’ouvrir.
Elle, silencieuse et fière, attendait que la preuve vivante de son innocence apparût.
Minuit sonna. La porte ne s’ouvrit pas.
Une demi-heure s’écoula, pendant laquelle Marie-Antoinette demanda plus de dix fois à Charny si les imposteurs avaient été bien exacts à chacun de leurs rendez-vous.
Trois quarts après minuit sonnèrent à Saint-Louis de Versailles.
La reine frappa du pied avec impatience.
– Vous verrez qu’ils ne viendront pas aujourd’hui, dit-elle; ces sortes de malheurs n’arrivent qu’à moi!
Et en disant ces mots elle regardait Charny comme pour lui chercher querelle, si elle avait surpris en ses yeux le moindre éclat de triomphe ou d’ironie.
Mais lui, pâlissant à mesure que ses soupçons revenaient, gardait une attitude tellement grave et mélancolique, que certainement son visage reflétait en ce moment la sereine patience des martyrs et des anges.
La reine lui prit le bras et le ramena au châtaignier sous lequel ils avaient fait leur première station.
– Vous dites, murmura-t-elle, que c’est ici que vous avez vu.
– Ici même, madame.
– Ici, que la femme a donné une rose à l’homme.
– Oui, Votre Majesté.
Et la reine était si faible, si fatiguée du long séjour fait dans ce parc humide, qu’elle s’adossa au tronc de l’arbre, et pencha sa tête sur sa poitrine.
Insensiblement, ses jambes fléchirent; Charny ne lui donnait pas le bras, elle tomba plutôt qu’elle ne s’assit sur l’herbe et la mousse.
Lui, demeurait immobile et sombre.
Elle appuya ses deux mains sur son visage, et Charny ne put voir une larme de cette reine glisser entre ses doigts longs et blancs.
Soudain, relevant sa tête: