Читаем Le Collier de la Reine - Tome II полностью

– Plaît-il? s’écria le cardinal; que signifient vos paroles, chère comtesse?

– Ne les comprenez-vous pas?

– J’ai peur.

– Moi, j’aurais peur si vous ne me rassuriez.

– Que faut-il faire pour cela?

– Ne plus aller à Versailles.

Le cardinal fit un bond.

– Le jour? dit-il en souriant.

– Le jour d’abord, et ensuite la nuit!

Monsieur de Rohan tressaillit et quitta la main de la comtesse.

– Impossible, dit-il.

– À mon tour de vous regarder en face, répondit-elle; vous avez dit, je crois, impossible. Pourquoi impossible, s’il vous plaît?

– Parce que j’ai dans le cœur un amour qui ne finira qu’avec ma vie.

– Je m’en aperçois, interrompit-elle ironiquement, et c’est pour en arriver plus vite au résultat que vous persistez à retourner dans le parc. Oui, si vous y retournez, votre amour ne finira qu’avec votre vie, et tous deux seront tranchés du même coup.

– Que de terreurs, comtesse! vous si brave hier!

– J’ai la bravoure des bêtes. Je ne crains rien, tant qu’il n’y a pas de danger.

– Moi, j’ai la bravoure de ma race. Je ne suis heureux qu’en présence du danger même.

– Très bien; mais alors permettez-moi de vous dire…

– Rien, comtesse, rien, s’écria l’amoureux prélat; le sacrifice est fait, le sort est jeté; la mort si l’on veut, mais l’amour! Je retournerai à Versailles.

– Tout seul? dit la comtesse.

– Vous m’abandonneriez? dit monsieur de Rohan d’un ton de reproche.

– Moi, d’abord.

– Elle viendra, elle.

– Vous vous trompez, elle ne viendra pas.

– Viendriez-vous m’annoncer cela de sa part? dit en tremblant le cardinal.

– C’est le coup que je cherchais à vous atténuer depuis une demi-heure.

– Elle ne veut plus me voir?

– Jamais, et c’est moi qui le lui ai conseillé.

– Madame, dit le prélat d’un ton pénétré, c’est mal à vous d’enfoncer le couteau dans un cœur que vous savez si tendre.

– Ce serait bien plus mal, monseigneur, à moi, de laisser deux folles créatures se perdre faute d’un bon conseil. Je le donne, profite qui voudra.

– Comtesse, comtesse, plutôt mourir.

– Cela vous regarde, et c’est aisé.

– Mourir pour mourir, dit le cardinal d’une voix sombre, j’aime mieux la fin du réprouvé. Béni soit l’enfer où je trouverai ma complice!

– Saint prélat, vous blasphémez! dit la comtesse; sujet, vous détrônez votre reine! homme, vous perdez une femme!

Le cardinal saisit la comtesse par la main, et, lui parlant avec délire:

– Avouez qu’elle ne vous a pas dit cela! s’écria-t-il, et qu’elle ne me reniera pas ainsi.

– Je vous parle en son nom.

– C’est un délai qu’elle demande.

– Prenez-le comme vous voudrez; mais observez son ordre.

– Le parc n’est pas le seul endroit où l’on puisse se voir, il y a mille endroits plus sûrs. La reine est venue chez vous, enfin!

– Monseigneur, pas un mot de plus; je porte en moi un poids mortel, celui de votre secret. Je ne me sens pas de force à le porter longtemps. Ce que vos indiscrétions, ce que le hasard, ce que la malveillance d’un ennemi ne feront pas, les remords le feront. Je la sais capable, voyez-vous, de tout avouer au roi dans un moment de désespoir.

– Bon Dieu! est-il possible! s’écria monsieur de Rohan, elle ferait cela?

– Si vous la voyiez, elle vous ferait pitié.

Le cardinal se leva précipitamment.

– Que faire? dit-il.

– Lui donner la consolation du silence.

– Elle croira que je l’ai oubliée.

Jeanne haussa les épaules.

– Elle m’accusera d’être un lâche.

– Lâche pour la sauver, jamais.

– Une femme pardonne-t-elle qu’on se prive de sa présence?

– Ne jugez pas celle-là comme vous me jugeriez.

– Je la juge grande et forte. Je l’aime pour sa vaillance et son noble cœur. Elle peut donc compter sur moi comme je compte sur elle. Une dernière fois je la verrai; elle saura ma pensée entière, et ce qu’elle aura décidé après m’avoir entendu, je l’accomplirai comme je ferais d’un vœu sacré.

Jeanne se leva.

– Comme il vous plaira, dit-elle. Allez! seulement vous irez seul. J’ai jeté la clef du parc dans la Seine, en revenant aujourd’hui. Vous irez donc tout à votre aise à Versailles, tandis que moi je vais partir pour la Suisse ou pour la Hollande. Plus je serai loin de la bombe, moins j’en craindrai les éclats.

– Comtesse! vous me laisseriez, vous m’abandonneriez! Ô mon Dieu! mais avec qui parlerai-je d’elle?

Jeanne ici recorda les scènes de Molière; jamais plus insensé Valère n’avait donné à plus rusée Dorine de plus commodes répliques.

– N’avez-vous pas le parc et les échos, dit Jeanne; vous leur apprendrez le nom d’Amaryllis.

– Comtesse, ayez pitié. Je suis au désespoir, dit le prélat avec un accent parti du cœur.

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