En se résumant, elle donna pour thème à son entretien avec Nicole la nécessité de faire disparaître absolument la preuve des supercheries criminelles commises dans le parc de Versailles.
La nuit vint, Oliva descendit. Jeanne l’attendait à la porte.
Toutes deux remontant la rue Saint-Claude jusqu’au boulevard désert, allèrent gagner leur voiture, qui, pour mieux les laisse causer, marchait au pas dans le chemin qui va circulairement à Vincennes.
Nicole, bien déguisée dans une robe simple et sous une ample calèche, Jeanne vêtue en grisette, nul ne les pouvait reconnaître. Il eût fallu d’ailleurs pour cela plonger dans le carrosse, et la police seule avait ce droit. Rien n’avait encore donné l’éveil à la police.
En outre, cette voiture, au lieu d’être un carrosse uni, portait sur ses panneaux les armes de Valois, respectables sentinelles dont aucune violence d’agent n’aurait osé forcer la consigne.
Oliva commença par couvrir de baisers Jeanne, qui les lui rendit avec usure.
– Oh! que je me suis ennuyée, s’écria Oliva; je vous cherchais, je vous invoquais.
– Impossible, mon amie, de vous venir voir, j’eusse couru alors et vous eusse fait courir un trop grand danger.
– Comment cela? dit Nicole étonnée.
– Un danger terrible, chère petite, et dont je frémis encore.
– Oh! contez cela bien vite!
– Vous savez que vous avez ici beaucoup d’ennui.
– Oui, hélas!
– Et que pour vous distraire vous aviez désiré sortir.
– Ce à quoi vous m’avez aidée si amicalement.
– Vous savez aussi que je vous avais parlé de cet officier du gobelet, un peu fou, mais très aimable, qui est amoureux de la reine, à qui vous ressemblez un peu.
– Oui, je le sais.
– J’ai eu la faiblesse de vous proposer un divertissement innocent qui consistait à nous amuser du pauvre garçon, et à le mystifier en lui faisant croire à un caprice de la reine pour lui.
– Hélas! soupira Oliva.
– Je ne vous rappellerai pas les deux premières promenades que nous fîmes la nuit, dans le jardin de Versailles, en compagnie de ce pauvre garçon.
Oliva soupira encore.
– De ces deux nuits pendant lesquelles vous avez si bien joué votre petit rôle que notre amant a pris la chose au sérieux.
– C’était peut-être mal, dit Oliva bien bas; car, en effet, nous le trompions, et il ne le mérite pas; c’est un bien charmant cavalier.
– N’est-ce pas?
– Oh! oui.
– Mais attendez, le mal n’est pas encore là. Lui avoir donné une rose, vous être laissé appeler majesté, avoir donné vos mains à baiser, ce sont là des espiègleries… Mais… ma petite Oliva, il paraît que ce n’est pas tout.
Oliva rougit si fort que, sans la nuit profonde, Jeanne eût été forcée de s’en apercevoir. Il est vrai qu’en femme d’esprit elle regardait le chemin et non pas sa compagne.
– Comment… balbutia Nicole. En quoi… n’est-ce pas tout?
– Il y a eu une troisième entrevue, dit Jeanne.
– Oui, fit Oliva en hésitant; vous le savez, puisque vous y étiez.
– Pardon, chère amie, j’étais, comme toujours, à distance, guettant ou faisant semblant de guetter pour donner plus de vérité à votre rôle. Je n’ai donc pas vu ni entendu ce qui s’est passé dans cette grotte. Je ne sais que ce que vous m’en avez raconté. Or, vous m’avez raconté, en revenant, que vous vous étiez promenée, que vous aviez causé, que les roses et les mains baisées avaient continué leur jeu. Moi, je crois tout ce qu’on me dit, chère petite.
– Eh bien!… mais… fit en tremblant Oliva.
– Eh bien! ma toute aimable, il paraît que notre fou en dit plus que la prétendue reine ne lui en a accordé.
– Quoi?
– Il paraît qu’enivré, étourdi, éperdu, il s’est vanté d’avoir obtenu de la reine une preuve irrécusable d’amour partagé. Ce pauvre diable est fou, décidément.
– Mon Dieu! mon Dieu! murmura Oliva.
– Il est fou, d’abord parce qu’il ment, n’est-ce pas? dit Jeanne.
– Certes… balbutia Oliva.
– Vous n’eussiez pas, ma chère petite, voulu vous exposer à un danger aussi terrible sans me le dire.
Oliva frissonna de la tête aux pieds.
– Quelle apparence, continua la terrible amie, que vous, qui aimez monsieur Beausire, et qui m’avez pour compagne; que vous, qui êtes courtisée par monsieur le comte de Cagliostro, et qui refusez ses soins, vous ayez été, par caprice, donner à ce fou le droit… de… dire?… Non, il a perdu la tête, je n’en démords pas.
– Enfin, s’écria Nicole, quel danger? Voyons!
– Le voici. Nous avons affaire à un fou, c’est-à-dire à un homme qui ne craint rien et qui ne ménage rien. Tant qu’il ne s’agissait que d’une rose donnée, que d’une main baisée, rien à dire; une reine a des roses dans son parc, elle a des mains à la disposition de tous ses sujets; mais, s’il était vrai qu’à la troisième entrevue… Ah! ma chère enfant, je ne ris plus depuis que j’ai cette idée-là.
Oliva sentit ses dents se serrer de peur.
– Qu’arrivera-t-il donc, ma bonne amie? demanda-t-elle.
– Il arrivera d’abord que vous n’êtes pas la reine, pas que je sache, du moins.
– Non.
– Et que, ayant usurpé la qualité de Sa Majesté pour commettre une… légèreté de ce genre…
– Eh bien?