– Eh bien, cela s’appelle lèse-majesté. On mène les gens bien loin avec ce mot-là.
Oliva cacha son visage dans ses mains.
– Après tout, continua Jeanne, comme vous n’avez pas fait ce dont il se vante, vous en serez quitte pour le prouver. Les deux légèretés précédentes seront punies de deux à quatre années de prison, et du bannissement.
– Prison! bannissement! s’écria Oliva effarée.
– Ce n’est pas irréparable; mais moi je vais toujours prendre mes précautions et me mettre à l’abri.
– Vous seriez inquiétée aussi?
– Parbleu! Est-ce qu’il ne me dénoncera pas tout de suite, cet insensé? Ah! ma pauvre Oliva! c’est une mystification qui nous aura coûté cher.
Oliva se mit à fondre en larmes.
– Et moi, moi, dit-elle, qui ne puis jamais rester un moment tranquille! Oh! esprit enragé! Oh! démon! Je suis possédée, voyez-vous. Après ce malheur, j’en irai encore chercher un autre.
– Ne vous désespérez pas, tâchez seulement d’éviter l’éclat.
– Oh! comme je vais me renfermer chez mon protecteur. Si j’allais tout lui avouer?
– Jolie idée! Un homme qui vous élève à la brochette, en vous dissimulant son amour; un homme qui n’attend qu’un mot de vous pour vous adorer, et auquel vous irez dire que vous avez commis cette imprudence avec un autre. Je dis imprudence, notez bien cela; sans compter ce qu’il soupçonnera.
– Mon Dieu! vous avez raison.
– Il y a plus: le bruit de cela va se répandre, la recherche des magistrats éveillera les scrupules de votre protecteur. Qui sait si, pour se mettre bien en cour, il ne vous livrera pas?
– Oh!
– Admettons qu’il vous chasse purement et simplement, que deviendrez-vous?
– Je sais que je suis perdue.
– Et monsieur de Beausire, quand il apprendra cela, dit lentement Jeanne, en étudiant l’effet de ce dernier coup.
Oliva bondit. D’un coup violent elle démolit tout l’édifice de sa coiffure.
– Il me tuera. Oh! non, murmura-t-elle, je me tuerai moi-même.
Puis se tournant vers Jeanne.
– Vous ne pouvez pas me sauver, dit-elle avec désespoir, non, puisque vous êtes perdue vous-même.
– J’ai, répliqua Jeanne, au fond de la Picardie, un petit coin de terre, une ferme. Si l’on pouvait sans être vue gagner ce refuge avant l’éclat, peut-être resterait-il une chance?
– Mais ce fou, il vous connaît, il vous trouvera toujours bien.
– Oh! vous partie, vous cachée, vous introuvable, je ne craindrais plus le fou. Je lui dirais tout haut: Vous êtes un insensé d’avancer de pareilles choses, prouvez-les: ce qui lui serait impossible; tout bas je lui dirais: Vous êtes un lâche!
– Je partirai quand et comme il vous plaira, dit Oliva.
– Je crois que c’est sage, répliqua Jeanne.
– Faut-il partir tout de suite?
– Non, attendez que j’aie préparé toutes choses pour le succès. Cachez-vous, ne vous montrez pas, même à moi. Déguisez-vous même en regardant dans votre miroir.
– Oui, oui, comptez sur moi, chère amie.
– Et pour commencer, rentrons; nous n’avons plus rien à nous dire.
– Rentrons. Combien vous faut-il de temps pour vos préparatifs?
– Je ne sais; mais faites attention à une chose: d’ici au jour de votre départ, je ne me montrerai pas à ma fenêtre. Si vous m’y voyez, comptez que ce sera pour le jour même, et tenez-vous prête.
– Oui, merci, ma bonne amie.
Elles retournèrent lentement vers la rue Saint-Claude, Oliva n’osant plus parler à Jeanne, Jeanne songeant trop profondément pour parler à Oliva.
En arrivant, elles s’embrassèrent; Oliva demanda humblement pardon à son amie de tout ce qu’elle avait causé de malheurs avec son étourderie.
– Je suis femme, répliqua madame de La Motte, en parodiant le poète latin, et toute faiblesse de femme m’est familière.
Chapitre 25
La fuite
Ce qu’avait promis Oliva, elle le tint.
Ce qu’avait promis Jeanne, elle le fit.
Dès le lendemain, Nicole avait complètement dissimulé son existence à tout le monde, nul ne pouvait soupçonner qu’elle habitait la maison et la rue Saint-Claude.
Toujours abritée derrière un rideau ou derrière un paravent, toujours calfeutrant la fenêtre, en dépit des rayons de soleil qui venaient joyeusement y mordre.
Jeanne, qui, de son côté, préparait tout, sachant que le lendemain devait amener l’échéance du premier paiement de cinq cent mille livres, Jeanne s’arrangeait de façon à ne laisser derrière elle aucun endroit sensible pour le moment où la bombe éclaterait.
Ce moment terrible était le dernier but de ses observations.
Elle avait calculé sagement l’alternative d’une fuite qui était facile, mais cette fuite c’était l’accusation la plus positive.
Rester, rester immobile comme le duelliste sous le coup de l’adversaire; rester avec la chance de tomber, mais aussi avec la chance de tuer son ennemi, telle fut la détermination de la comtesse.
Voilà pourquoi, dès le lendemain de son entrevue avec Oliva, elle se montra vers deux heures à sa fenêtre, pour indiquer à la fausse reine qu’il était temps de s’apprêter le soir à prendre du champ.
Dire la joie, dire la terreur d’Oliva, ce serait impossible. Nécessité de s’enfuir signifiait danger; possibilité de fuir signifiait salut.