Jeanne, haletante, mais étranglant son souffle, écouta. On ne causait pas. Oliva était donc bien seule, elle marchait, rangeait sans doute. Elle n’était donc pas malade, et il ne s’agissait que d’un retard.
Jeanne gratta doucement le bois de la porte.
– Oliva! Oliva! dit-elle; amie! petite amie!…
Le pas s’approcha sur le tapis.
– Ouvrez! ouvrez! dit précipitamment Jeanne.
La porte s’ouvrit, un déluge de lumière inonda Jeanne, qui se trouva en face d’un homme porteur d’un flambeau à trois branches. Elle poussa un cri terrible en se cachant le visage.
– Oliva! dit cet homme, est-ce que ce n’est pas vous?
Et il leva doucement la mante de la comtesse.
– Madame la comtesse de La Motte, s’écria-t-il à son tour, avec un ton de surprise admirablement naturel.
– Monsieur de Cagliostro! murmura Jeanne chancelante et près de s’évanouir.
Parmi tous les dangers que Jeanne avait pu supposer, celui-là n’était jamais apparu à la comtesse. Il ne se présentait pas bien effrayant au premier abord, mais en réfléchissant un peu, en observant un peu l’air sombre et la profonde dissimulation de cet homme étrange, le danger devait paraître épouvantable.
Jeanne faillit perdre la tête, elle recula, elle eut envie de se précipiter du haut en bas de l’escalier.
Cagliostro lui tendit poliment la main, en l’invitant à s’asseoir.
– À quoi dois-je l’honneur de votre visite, madame? dit-il d’une voix assurée.
– Monsieur… balbutia l’intrigante, qui ne pouvait détacher ses yeux de ceux du comte, je venais… je cherchais…
– Permettez, madame, que je sonne pour faire châtier ceux de mes gens qui ont la maladresse, la grossièreté de laisser se présenter seule une femme de votre rang.
Jeanne trembla. Elle arrêta la main du comte.
– Il faut, continua celui-ci imperturbablement, que vous soyez tombée à ce drôle d’Allemand qui est mon suisse, et qui s’enivre. Il ne vous aura pas connue. Il aura ouvert sa porte sans rien dire, sans rien faire; il aura dormi après avoir ouvert.
– Ne le grondez pas, monsieur, articula plus librement Jeanne, qui ne soupçonna pas le piège, je vous en prie.
– C’est bien lui qui a ouvert, n’est-ce pas, madame?
– Je crois que oui… Mais vous m’avez promis de ne pas le gronder.
– Je tiendrai ma parole, dit le comte en souriant. Seulement, madame, veuillez vous expliquer maintenant.
Et une fois cette échappée donnée, Jeanne, qu’on ne soupçonnait plus d’avoir ouvert elle-même la porte, pouvait mentir sur l’objet de sa visite. Elle n’y manqua pas.
– Je venais, dit-elle fort vite, vous consulter, monsieur le comte, sur certains bruits qui courent.
– Quels bruits, madame?
– Ne me pressez pas, je vous prie, dit-elle en minaudant; ma démarche est délicate…
«Cherche! Cherche! pensait Cagliostro; moi j’ai déjà trouvé.»
– Vous êtes un ami de Son Éminence monseigneur le cardinal de Rohan, dit Jeanne.
«Ah! ah! pas mal, pensa Cagliostro. Va jusqu’au bout du fil que je tiens; mais plus loin je te le défends.»
– Je suis en effet, madame, assez bien avec Son Éminence, dit-il.
– Et je venais, continua Jeanne, me renseigner prés de vous sur…
– Sur! dit Cagliostro avec une nuance d’ironie.
– Je vous ai dit que ma position est délicate, monsieur, n’en abusez pas. Vous ne devez pas ignorer que monsieur de Rohan me témoigne quelque affection, et je voudrais savoir jusqu’à quel point je puis compter… Enfin, monsieur, vous lisez, dit-on, dans les plus épaisses ténèbres des esprits et des cœurs.
– Encore un peu de clarté, madame, dit le comte, pour que je sache mieux lire dans les ténèbres de votre cœur et de votre esprit.
– Monsieur, on dit que Son Éminence aime ailleurs; que Son Éminence aime en haut lieu… On dit même…
Ici Cagliostro fixa sur Jeanne, qui faillit tomber renversée, un regard plein d’éclairs.
– Madame, dit-il, je lis en effet dans les ténèbres; mais pour bien lire, j’ai besoin d’être aidé. Veuillez répondre aux questions que voici:
«Comment êtes-vous venue me chercher ici? Ce n’est pas ici que je demeure.
Jeanne frémit.
– Comment êtes-vous entrée ici? car il n’y a ni suisse ivre, ni valets, dans cette partie de l’hôtel.
«Et si ce n’est pas moi que vous veniez chercher, qu’y cherchez-vous?
«Vous ne répondez pas? fit-il à la tremblante comtesse; je vais donc aider votre intelligence.
«Vous êtes entrée avec une clef que je sens là dans votre poche; la voici.
«Vous veniez chercher ici une jeune femme que, par bonté pure, je cachais chez moi.
Jeanne chancela comme un arbre déraciné.
– Et… quand cela serait? dit-elle tout bas, quel crime aurais-je commis? N’est-il pas permis à une femme de venir voir une femme? Appelez-la, elle vous dira si notre amitié n’est pas avouable…
– Madame, interrompit Cagliostro, vous me dites cela parce que vous savez bien qu’elle n’est plus ici.
– Qu’elle n’est plus ici!… s’écria Jeanne épouvantée. Oliva n’est plus ici?
– Oh! fit Cagliostro, vous ignorez peut-être qu’elle est partie, vous qui avez aidé à l’enlèvement?
– À l’enlèvement! moi! moi! s’écria Jeanne qui reprit espoir. On l’a enlevée et vous m’accusez?