Il ne répondit rien, un peu suffoqué qu’il était par cette dissimulation.
– Le même secret qu’autrefois; un joyau à vendre, continua la reine, quelque pièce incomparable? Oh! ne vous effrayez pas ainsi: il n’y a personne pour nous entendre.
– Alors… murmura Bœhmer.
– Eh bien! quoi?…
– Alors, je puis dire à Sa Majesté…
– Mais dites vite, mon cher Bœhmer.
Le joaillier s’approcha avec un gracieux sourire.
– Je puis dire à Sa Majesté que la reine nous a oubliés hier, dit-il en montrant ses dents un peu jaunes, mais toutes bienveillantes.
– Oubliés! en quoi? fit la reine surprise.
– En ce que hier… était le terme…
– Le terme!… quel terme?
– Oh! mais, pardon, Votre Majesté, si je me permets… Je sais bien qu’il y a indiscrétion. Peut-être la reine n’est-elle pas préparée. Ce serait un grand malheur: mais, enfin…
– Ah çà! Bœhmer, s’écria la reine, je ne comprends pas un mot à tout ce que vous me dites. Expliquez-vous donc, mon cher.
– C’est que Votre Majesté a perdu la mémoire. C’est bien naturel, au milieu de tant de préoccupations.
– La mémoire de quoi? encore un coup.
– C’était hier le premier paiement du collier, dit Bœhmer timidement.
– Vous avez donc vendu votre collier? fit la reine.
– Mais… dit Bœhmer en la regardant avec stupéfaction, mais il me semble que oui.
– Et ceux à qui vous avez vendu ne vous ont pas payé, mon pauvre Bœhmer; tant pis. Il faut que ces gens-là fassent comme j’ai fait; il faut que, ne pouvant acheter le collier, ils vous le rendent en vous laissant les acomptes.
– Plait-il?… balbutia le joaillier qui chancela comme le voyageur imprudent qui reçoit sur la tête un coup de soleil d’Espagne. Qu’est-ce que Votre Majesté me fait l’honneur de me dire?
– Je dis, mon pauvre Bœhmer, que si dix acheteurs vous rendent votre collier comme je vous l’ai rendu en vous laissant deux cent mille livres de pot-de-vin, cela vous fera deux millions, plus le collier.
– Votre Majesté… s’écria Bœhmer ruisselant de sueur, dit bien qu’elle m’a rendu le collier?
– Mais oui, je le dis, répliqua la reine tranquillement. Qu’avez-vous?
– Quoi! continua le joaillier, Votre Majesté nie m’avoir acheté le collier?
– Ah çà! mais quelle comédie jouons-nous, dit sévèrement la reine. Est-ce que ce maudit collier est destiné à faire toujours perdre la tête à quelqu’un?
– Mais, reprit Bœhmer, tremblant de tous ses
membres, c’est qu’il me semblait avoir entendu de la bouche même de
Votre Majesté… qu’elle m’avait
La reine regarda Bœhmer en se croisant les bras.
– Heureusement, dit-elle, que j’ai là de quoi vous rafraîchir la mémoire, car vous êtes un homme bien oublieux, monsieur Bœhmer, pour ne rien dire de plus désagréable.
Elle alla droit à son chiffonnier, en tira un papier qu’elle ouvrit, qu’elle parcourut et qu’elle tendit lentement au malheureux Bœhmer.
– Le style est assez clair, dit-elle, je suppose. Et elle s’assit pour mieux regarder le joaillier pendant qu’il lisait.
Le visage de celui-ci exprima d’abord la plus complète incrédulité, puis, par degrés, l’effroi le plus terrible.
– Eh bien! dit la reine. Vous reconnaissez ce reçu qui atteste en si bonne forme que vous avez repris le collier; et, à moins que vous n’ayez oublié aussi que vous vous appelez Bœhmer…
– Mais, madame, s’écria Bœhmer étranglant de rage et de frayeur tout ensemble, ce n’est pas moi qui ai signé ce reçu-là.
La reine recula en foudroyant cet homme de ses deux yeux flamboyants.
– Vous niez! dit-elle.
– Absolument… Dussé-je laisser ici ma liberté, ma vie, je n’ai jamais reçu le collier; je n’ai jamais signé ce reçu. Le billot serait ici, le bourreau serait là, que je répéterais encore: non, Votre Majesté, ce reçu n’est pas de moi.
– Alors, monsieur, dit la reine en pâlissant légèrement, je vous ai donc volé, moi; j’ai donc votre collier, moi?
Bœhmer fouilla dans son portefeuille et en tira une lettre qu’il tendit à son tour à la reine…
– Je ne crois pas, madame, dit-il d’une voix respectueuse, mais altérée par l’émotion, je ne crois pas que si Votre Majesté m’avait voulu rendre le collier, elle eût écrit la reconnaissance que voici.
– Mais, s’écria la reine, qu’est-ce que ce chiffon? Je n’ai jamais écrit cela, moi! Est-ce que c’est là mon écriture?
– C’est signé, dit Bœhmer pulvérisé.
–
– À mes faussaires… balbutia le joaillier, qui faillit s’évanouir en entendant ces paroles. Votre Majesté me soupçonne, moi, Bœhmer?
– Vous me soupçonnez bien, moi, Marie-Antoinette! dit la reine avec hauteur.
– Mais cette lettre, objecta-t-il encore en désignant le papier qu’elle tenait toujours.
– Et ce reçu, répliqua-t-elle, en lui montrant le papier qu’il n’avait pas quitté.