– Allons donc! s’écria le cardinal, vous perdez la tête, messieurs.
– Est-ce vrai? dit Bœhmer à Bossange, qui répondit par un triple assentiment.
– La reine a nié, dit le cardinal, parce qu’il y avait quelqu’un chez elle quand vous lui parlâtes.
– Personne, monseigneur; mais ce n’est pas tout.
– Quoi donc encore?
– Non seulement la reine a nié, non seulement elle a prétendu que la reconnaissance est fausse; mais elle nous a montré un reçu de nous prouvant que nous avons repris le collier.
– Un reçu de vous, dit le cardinal. Et ce reçu…
– Est faux, comme l’autre, monsieur le cardinal, vous le savez bien.
– Faux… Deux faux… Et vous dites que je le sais bien?
– Assurément, puisque vous êtes venu pour nous confirmer dans ce que nous avait dit madame de La Motte; car vous, vous saviez bien que nous avions bien vendu le collier, et qu’il était aux mains de la reine.
– Voyons, dit le cardinal en passant une main sur son front, voici des choses bien graves, ce me semble. Entendons-nous un peu. Voici mes opérations avec vous.
– Oui, monseigneur.
– D’abord achat fait par moi pour le compte de Sa Majesté d’un collier sur lequel je vous ai payé deux cent cinquante mille livres.
– C’est vrai, monseigneur.
– Ensuite, vente souscrite directement par la reine, vous me l’avez dit, du moins, aux termes fixés par elle et sur la responsabilité de sa signature?
– De sa signature… Vous dites que c’est la signature de la reine, n’est-ce pas, monseigneur?
– Montrez-la-moi.
– La voici.
Les joailliers tirèrent la lettre de leur portefeuille. Le cardinal y jeta les yeux.
– Eh mais! s’écria-t-il, vous êtes des
enfants…
– Mais alors, s’écrièrent les joailliers au comble de l’exaspération, madame de La Motte doit connaître le faussaire et le voleur?
La vérité de cette assertion frappa le cardinal.
– Appelons madame de La Motte, dit-il fort troublé.
Et il sonna comme avait fait la reine.
Ses gens s’élancèrent à la poursuite de Jeanne, dont le carrosse ne pouvait encore être très loin.
Cependant Bœhmer et Bossange se blottissant comme des lièvres au gîte, dans les promesses de la reine, répétaient:
– Où est le collier? Où est le collier?
– Vous allez me faire devenir sourd, dit le cardinal avec humeur. Le sais-je moi, où est votre collier? Je l’ai remis moi-même à la reine, voilà tout ce que je sais.
_ Le collier! si nous n’avons pas l’argent; le collier! répétaient les deux marchands.
– Messieurs, cela ne me regarde pas, répéta le cardinal hors de lui, et prêt à jeter ces deux créanciers à la porte.
– Madame de La Motte! madame la comtesse! crièrent Bœhmer et Bossange, enroués à force de désespoir, c’est elle qui nous a perdus.
– Madame de La Motte est d’une probité que je vous défends de suspecter, sous peine d’être roués dans mon hôtel.
– Enfin, il y a un coupable, dit Bœhmer d’un ton lamentable, ces deux faux ont été faits par quelqu’un?
– Est-ce par moi? dit monsieur de Rohan avec hauteur.
– Monseigneur, nous ne voulons pas le dire, certes.
– Eh bien, alors?
– Enfin, monseigneur, une explication, au nom du ciel.
– Attendez que j’en aie une moi-même.
– Mais, monseigneur, que répondre à la reine, car Sa Majesté crie aussi bien haut contre vous.
– Et que dit-elle?
– Elle dit que c’est vous ou madame de La Motte qui avez le collier, non pas elle.
– Eh bien! fit le cardinal, pâle de honte et de colère, allez dire à la reine que… Non, ne lui dites rien. Assez de scandale comme cela. Mais demain… demain, entendez-vous, j’officie à la chapelle de Versailles; venez, vous me verrez m’approcher de la reine, lui parler, lui demander si elle n’a pas le collier en sa possession, et vous entendrez ce qu’elle répondra; si, en face de moi, elle nie… alors, messieurs, je suis Rohan, je paierai!
Et sur ces mots prononcés avec une grandeur dont la simple prose ne peut donner une idée, le prince congédia les deux associés qui partirent à reculons en se touchant le coude.
– À demain donc, balbutia Bœhmer, n’est-ce pas, monseigneur?
– À demain, onze heures du matin, à la chapelle de Versailles, répondit le cardinal.
Chapitre 28
Escrime et diplomatie
Le lendemain entrait à Versailles, vers dix heures, une voiture aux armes de monsieur de Breteuil.
Ceux des lecteurs de ce livre qui se rappellent l’histoire de Balsamo et de Gilbert n’auront pas oublié que monsieur de Breteuil, rival et ennemi personnel de monsieur de Rohan, guettait depuis longtemps toutes les occasions de porter un coup mortel à son ennemi.
La diplomatie est en ceci d’autant supérieure à l’escrime, que, dans cette dernière science, une riposte bonne ou mauvaise doit être fournie en une seconde, tandis que les diplomates ont quinze ans, plus s’il le faut, pour combiner le coup qu’ils rendent et le faire le plus mortel possible.