Le roi prêta l’oreille, Breteuil interrompit sa lecture.
Un officier vint gratter à la porte du cabinet.
– Qu’y a-t-il? demanda le roi, dont tous les nerfs étaient mis en jeu depuis la révélation de monsieur de Breteuil.
L’officier se présenta.
– Sire, Sa Majesté la reine prie Votre Majesté de vouloir bien passer chez elle.
– Il y a du nouveau, dit le roi en pâlissant.
– Peut-être, dit Breteuil.
– Je vais chez la reine, s’écria le roi. Attendez-nous ici, monsieur de Breteuil.
– Bien, nous touchons au dénouement, murmura le garde des Sceaux.
Chapitre 29
Gentilhomme, cardinal et reine
À l’heure où monsieur de Breteuil était entré chez le roi, monsieur de Charny, pâle, agité, avait fait demander une audience à la reine.
Celle-ci s’habillait; elle vit, par la fenêtre de son boudoir donnant sur la terrasse, Charny qui insistait pour être introduit.
Elle donna ordre qu’on le fît entrer, avant même qu’il eût achevé sa demande.
Car elle cédait au besoin de son cœur; car elle se disait avec une noble fierté qu’un amour pur et immatériel comme le sien a droit d’entrer à toute heure dans le palais même des reines.
Charny entra, toucha en tremblant la main que la reine lui tendait, et d’une voix étouffée:
– Ah! madame, dit-il, quel malheur!
– En effet, qu’avez-vous? s’écria-t-elle en pâlissant de voir son ami si pâle.
– Madame, savez-vous ce que je viens d’apprendre? Savez-vous ce que l’on dit? Savez-vous ce que le roi sait peut-être, ou ce qu’il saura demain?
Elle frissonna, songeant à cette nuit de chastes délices où peut-être un œil jaloux, ennemi, l’avait vue dans le parc de Versailles avec Charny.
– Dites tout, je suis forte, répondit-elle en appuyant une main sur son cœur.
– On dit, madame, que vous avez acheté un collier à Bœhmer et Bossange.
– Je l’ai rendu, fit-elle vivement.
– Écoutez, on dit que vous avez feint de le rendre, que vous comptiez le pouvoir payer, que le roi vous en a empêché en refusant de signer un bon de monsieur de Calonne; qu’alors vous vous êtes adressée à quelqu’un pour trouver de l’argent, et que cette personne est… votre amant.
– Vous! s’écria la reine avec un mouvement de confiance sublime. Vous! monsieur; eh! laissez dire ceux qui disent cela. Le titre d’amant n’est pas pour eux une injure aussi douce à lancer que le titre d’ami n’est une douce vérité consacrée désormais entre nous deux.
Charny s’arrêta confondu par cette éloquence mâle et féconde qui s’exhale de l’amour vrai, comme le parfum essentiel du cœur de toute généreuse femme.
Mais l’intervalle qu’il mit à répondre doubla l’inquiétude de la reine. Elle s’écria:
– De quoi voulez-vous parler, monsieur de Charny? La calomnie a un langage que je ne comprends jamais. Est-ce que vous l’avez compris, vous?
– Madame, veuillez me prêter une attention soutenue, la circonstance est grave. Hier, je suis allé avec mon oncle, monsieur de Suffren, chez les joailliers de la cour, Bœhmer et Bossange. Mon oncle a rapporté des diamants de l’Inde. Il voulait les faire estimer. On a parlé de tout et de tous. Les joailliers ont raconté à monsieur le bailli une affreuse histoire commentée par les ennemis de Votre Majesté. Madame, je suis au désespoir; vous avez acheté le collier, dites-le-moi; vous ne l’avez pas payé, dites-le-moi encore. Mais ne me laissez pas croire que monsieur de Rohan l’a payé pour vous.
– Monsieur de Rohan! s’écria la reine.
– Oui, monsieur de Rohan, celui qui passe pour l’amant de la reine; celui à qui la reine emprunte de l’argent; celui qu’un malheureux qu’on appelle monsieur de Charny a vu dans le parc de Versailles, souriant à la reine, s’agenouillant devant la reine, baisant les mains de la reine; celui…
– Monsieur, s’écria Marie-Antoinette, si vous croyez quand je ne suis plus là, c’est que vous ne m’aimez pas quand j’y suis.
– Oh! répliqua le jeune homme, il y a un danger pressant; je ne viens vous demander ni franchise ni courage, je viens vous supplier de me rendre un service.
– Et d’abord, dit la reine, quel danger, s’il vous plaît?
– Le danger! madame, insensé qui ne le devine pas. Le cardinal répondant pour la reine, payant pour la reine, perd la reine. Je ne vous parle point ici du mortel déplaisir que peut causer à monsieur de Charny une confiance pareille à celle que vous inspire monsieur de Rohan. Non. De ces douleurs-là on meurt, mais on ne se plaint pas.
– Vous êtes fou! dit Marie-Antoinette avec colère.
– Je ne suis pas fou, madame, mais vous êtes malheureuse, vous êtes perdue. Je vous ai vue, moi, dans le parc… Je ne m’étais pas trompé, vous dis-je. Aujourd’hui a éclaté l’horrible, la mortelle vérité… Monsieur de Rohan se vante peut-être…
La reine saisit le bras de Charny.