– Moi, fit la reine, mais je vous évite si peu, monsieur le cardinal, que j’allais vous mander.
Le cardinal jeta un coup d’œil sur le boudoir.
– Suis-je seul avec Votre Majesté? dit-il à voix basse; ai-je le droit de parler en toute liberté?
– En toute liberté, monsieur le cardinal; ne vous contraignez pas, nous sommes seuls.
Et sa voix ferme semblait vouloir envoyer ses paroles au gentilhomme caché dans cette chambre voisine. Elle jouissait avec orgueil de son courage et de l’assurance qu’allait avoir, dès les premiers mots, monsieur de Charny bien attentif sans doute.
Le cardinal prit son parti. Il approcha le tabouret du fauteuil de la reine, de façon à se trouver le plus loin possible de la porte à deux battants.
– Voilà bien des préambules, dit la reine, affectant d’être enjouée.
– C’est que… dit le cardinal.
– C’est que?… répéta la reine.
– Le roi ne viendra pas? demanda monsieur de Rohan.
– N’ayez donc peur ni du roi ni de personne, répliqua vivement Marie-Antoinette.
– Oh! c’est de vous que j’ai peur, fit d’une voix émue le cardinal.
– Alors raison de plus, je ne suis pas bien redoutable; dites en peu de mots, dites à haute et intelligible voix, j’aime la franchise, et si vous me ménagez, je croirai que vous n’êtes pas un homme d’honneur. Oh! pas de gestes encore; on m’a dit que vous aviez des griefs contre moi. Parlez, j’aime la guerre, je suis d’un sang qui ne s’effraie pas, moi! Vous aussi, je le sais bien. Qu’avez-vous à me reprocher?
Le cardinal poussa un soupir et se leva comme pour aspirer plus largement l’air de la chambre. Enfin, maître de lui-même, il commença en ces termes.
Chapitre 30
Explications
Nous l’avons dit, la reine et le cardinal se trouvaient enfin face à face. Charny, dans le cabinet, pouvait entendre jusqu’à la moindre parole des interlocuteurs, et les explications si impatiemment attendues des deux parts allaient enfin avoir lieu.
– Madame, dit le cardinal en s’inclinant, vous savez ce qui se passe au sujet de notre collier?
– Non, monsieur, je ne le sais pas, et je suis aise de l’apprendre de vous.
– Pourquoi Votre Majesté me réduit-elle depuis si longtemps à ne plus communiquer avec elle que par intermédiaire? Pourquoi, si elle a quelque sujet de me haïr, ne me le témoigne-t-elle pas en me l’expliquant?
– Je ne sais ce que vous voulez dire, monsieur le cardinal, et je n’ai aucun sujet de vous haïr; mais là n’est pas, je crois, l’objet de notre entretien. Veuillez donc me donner sur ce malheureux collier un renseignement positif, et d’abord où est madame de La Motte?
– J’allais le demander à Votre Majesté.
– Pardon, mais si quelqu’un peut savoir où est madame de La Motte, c’est vous, je pense.
– Moi, madame, à quel titre?
– Oh! je ne suis pas ici pour recevoir vos confessions, monsieur le cardinal, j’ai eu besoin de parler à madame de La Motte, je l’ai fait appeler, on l’a cherchée chez elle à dix reprises: elle n’a rien répondu. Cette disparition est étrange, vous m’avouerez.
– Et moi aussi, madame, je m’étonne de cette disparition, car j’ai fait prier madame de La Motte de me venir voir; elle n’a pas plus répondu à moi qu’à Votre Majesté.
– Alors, laissons là la comtesse, monsieur, et parlons de nous.
– Oh! non, madame, parlons d’elle tout d’abord, car certaines paroles de Votre Majesté m’ont jeté dans un douloureux soupçon, il me semble que Votre Majesté me reprochait des assiduités auprès de la comtesse.
– Je ne vous ai encore rien reproché du tout, monsieur, mais patience.
– Oh! madame, c’est qu’un pareil soupçon m’expliquerait toutes les susceptibilités de votre âme, et, alors, je comprendrais, tout en me désespérant, la rigueur jusque-là inexplicable dont vous avez usé vis-à-vis de moi.
– Voilà où nous cessons de nous comprendre, dit la reine; vous êtes d’une obscurité impénétrable, et ce n’est pas pour nous embrouiller davantage que je vous demande des explications. Au fait! au fait!
– Madame, s’écria le cardinal en joignant les mains et en se rapprochant de la reine, faites-moi la grâce de ne pas changer la conversation: deux mots de plus sur le sujet que nous traitions tout à l’heure, et nous nous fussions entendus.
– En vérité, monsieur, vous parlez une langue que je ne sais pas; reprenons le français, je vous prie. Où est ce collier que j’ai rendu aux joailliers?
– Le collier que vous avez rendu! s’écria monsieur de Rohan.
– Oui, qu’en avez-vous fait?
– Moi! mais je ne sais pas, madame.