Elle se mit à envoyer un baiser éloquent à Jeanne, puis fit ses préparatifs en mettant dans son petit paquet quelque peu des effets précieux de son protecteur.
Jeanne, après son signal, disparut de chez elle pour s’occuper de trouver le carrosse auquel on remettrait la chère destinée de mademoiselle Nicole.
Et puis ce fut tout – tout ce que le plus curieux observateur eût pu démêler parmi les indices ordinairement significatifs de l’intelligence des deux amies.
Rideaux fermés, fenêtre close, lumière tardivement errante. Puis, on ne sait trop quels frôlements, quels bruits mystérieux, quels bouleversements auxquels succéda l’ombre avec le silence.
Onze heures du soir sonnaient à Saint-Paul, et le vent de la rivière amenait les coups lugubrement espacés jusqu’à la rue Saint-Claude, lorsque Jeanne arriva dans la rue Saint-Louis avec une chaise de poste attelée de trois vigoureux chevaux.
Sur le siège de cette chaise, un homme enveloppé dans un manteau indiquait l’adresse au postillon.
Jeanne tira cet homme par le bord de son manteau, le fit arrêter au coin de la rue du Roi-Doré.
L’homme vint parler à la maîtresse.
– Que la chaise reste ici, mon cher monsieur Réteau, dit Jeanne; une demi-heure suffira. J’amènerai ici quelqu’un qui montera dans la voiture, et que vous ferez mener en payant doubles guides à ma petite maison d’Amiens.
– Oui, madame la comtesse.
– Là, vous remettrez cette personne à mon métayer Fontaine, qui sait ce qui lui reste à faire.
– Oui, madame.
– J’oubliais… vous êtes armé, mon cher Réteau?
– Oui, madame.
– Cette dame est menacée par un fou… Peut-être voudra-t-on l’arrêter en chemin…
– Que ferai-je?
– Vous ferez feu sur quiconque empêcherait votre marche.
– Oui, madame.
– Vous m’avez demandé vingt louis de gratification pour ce que vous savez, j’en donnerai cent, et je paierai le voyage que vous allez faire à Londres, où vous m’attendrez avant trois mois.
– Oui, madame.
– Voici les cent louis. Je ne vous verrai sans doute plus, car il est prudent pour vous de gagner Saint-Valery et de vous embarquer sur-le-champ pour l’Angleterre.
– Comptez sur moi.
– C’est pour vous.
– C’est pour nous, dit monsieur Réteau en baisant la main de la comtesse. Ainsi, j’attends.
– Et moi, je vais vous expédier la dame.
Réteau entra dans la chaise à la place de Jeanne, qui, d’un pied léger, gagna la rue Saint-Claude et monta chez elle.
Tout dormait dans cet innocent quartier. Jeanne elle-même alluma la bougie qui, levée au-dessus du balcon, devait être le signal pour Oliva de descendre.
«Elle est fille de précaution», se dit la comtesse en voyant la fenêtre sombre.
Jeanne leva et abaissa trois fois sa bougie.
Rien. Mais il lui sembla entendre comme un
soupir ou un
«Elle descendra sans avoir rien allumé, se dit Jeanne; ce n’est pas un mal.»
Et elle descendit elle-même dans la rue.
La porte ne s’ouvrait pas. Oliva s’était sans doute embarrassée de quelques paquets lourds ou gênants.
– La sotte, dit la comtesse en maugréant; que de temps perdu pour des chiffons.
Rien ne venait. Jeanne alla jusqu’à la porte en face.
Rien. Elle écouta en collant son oreille aux clous de fer à large tête.
Un quart d’heure passa ainsi; la demie de onze heures sonna.
Jeanne s’écarta jusqu’au boulevard pour voir de loin si les fenêtres s’éclairaient.
Il lui sembla voir se promener une clarté douce dans le vide des feuilles sous les doubles rideaux.
– Que fait-elle! mon Dieu! que fait-elle, la petite misérable? Elle n’a pas vu le signal, peut-être. Allons! du courage, remontons.
Et en effet, elle remonta chez elle pour faire jouer encore le télégraphe de ses bougies.
Aucun signe ne répondit aux siens.
«Il faut, se dit Jeanne en froissant ses manchettes avec rage, il faut que la drôlesse soit malade et ne puisse bouger. Oh! mais, qu’importe! vive ou morte, elle partira ce soir.»
Elle descendit encore son escalier avec la précipitation d’une lionne poursuivie. Elle tenait en main la clef qui tant de fois avait procuré à Oliva la liberté nocturne.
Au moment de glisser cette clef dans la serrure de l’hôtel, elle s’arrêta.
«Si quelqu’un était là-haut, près d’elle? pensa la comtesse.
«Impossible, j’entendrai les voix, et il sera temps de redescendre. Si je rencontrais quelqu’un dans l’escalier… Oh!»
Elle faillit reculer sur cette supposition périlleuse.
Le bruit du piétinement de ses chevaux sur le pavé sonore la décida.
– Sans péril, fit-elle, rien de grand! Avec de l’audace, jamais de péril!
Elle fit tourner le pêne de la lourde serrure, et la porte s’ouvrit.
Jeanne connaissait les localités; son intelligence les lui eût révélées lors même qu’en attendant Oliva chaque soir elle ne s’en fût pas rendu compte. L’escalier étant à gauche, Jeanne se lança dans l’escalier.
Pas de bruit, pas de lumière, personne.
Elle arriva ainsi au palier de l’appartement de Nicole.
Là, sous la porte, on voyait la raie lumineuse; là, derrière cette porte, on entendait le bruit d’un pas agité.