Vers le milieu du wagon, il me semble, monsieur. A deux ou trois portes de celui de Mme la princesse.
Ah ! je vous en prie, rappelez-vous bien tous les dйtails de ce qui se passa.
Il m'a bousculйe, monsieur. A cet instant, je portais la couverture а la princesse.
Il sortait d'un compartiment et vous bouscula ? Dans quelle direction allait-il ?
Il venait de mon cфtй, monsieur. Il m'adressa quelques mots d'excuse et continua son chemin vers le wagon-restaurant. A ce moment, on entendit une sonnerie, mais je ne crois pas qu'il y ait rйpondu.
Elle fit une pause pour rйflйchir.
Je ne comprends pas comme il se fait.
Poirot prit un ton concilant.
S'il lui fallait courir chaque fois qu'on le sonne, il n'y suffirait pas ! Ce pauvre conducteur a йtй tellement dйrangй cette nuit. vous йveiller, rйpondre а ces coups de sonnette.
Ce n'йtait pas celui-lа qui m'a йveillйe, monsieur. C'йtait un autre.
Ah ! bah ! Un autre ? L'aviez-vous dйjа vu ?
Non, monsieur.
Croyez-vous pouvoir le reconnaоtre ?
Il me semble que oui, monsieru.
Porot murmura quelques mots а l'oreille de M. Bouc. Celui-ci se leva et alla а la porte pour donner un ordre.
Poirot continua l'interrogatoire sur le mкme ton cordial.
Avez-vous йtй en Amйrique, Frau Schmidt ?
Jamais, monsieur. Ce doit кtre un beau pays.
On vous a sans doute appris que l'homme assassinй cette nuit йtait coupable d'avoir tuй un enfant ?
Oui, monsieur, je le sais. C'est un crime affreux. abominable. Le Bon Dieu ne devrait pas permettre de telles infamies. On ne voit pas de gens aussi cruels dans mon pays.
Des larmes jaillirent des yeux de cette Allemande au cњur sensible.
En effet, ce crime est horrible, appuya Poirot d'une voix grave.
Il tira de sa poche un petit chiffon de batiste et le lui tendit.
Ce mouchoir est-il а vous, Frau Hildegarde Schmidt ?
La femme l'examina en silence. Au bout d'une minute, elle leva la tкte lйgиrement empourprй.
Non, monsieur. Ce mouchoir ne m'appartient pas.
Il est marquй d'un « H ». C'est pourquoi je pensait qu'il йtait а vous.
Ah ! monsieur, ce joli mouchoir ne peut appartenir qu'а une personne riche. Il est brodй а la main, et on a dы l'acheter а Paris.
Alors, vous ne savez pas qui est sa propriйtaire ?
Moi ? Pas du tout, monsieur.
Des trois hommes prйsents, seul Poirot saisit la lйgиre hйsitation d'Hildegarde Schmidt.
M. Bouc glissa quelques mots а l'oreille de Poirot.
Les trois conducteurs des wagons-lits vont venir, annonзa le dйtective а Frau Schmidt. Je vous prierai de me dire lequel vous avez vu cette nuit au moment oщ vous portiez une couverture а la princesse.
Les trois employйs entrиrent, Pierre Michel en tкte, puis le grand blond du sleeping Athиnes-Paris et le gros gaillard de la voiture de Bucarest.
Hildegarde Schmidt les regarda tour а tour, puis hocha la tкte.
Non, monsieur. Je ne reconnais pas l'homme que j'ai vu cette nuit.
Pourtant, ce sont les seuls conducteurs du train ! Voyons, rassemblez vos souvenirs. Vous faites certainement erreur.
Je vous jure, monsieur, que ce n'est aucun d'eux. Tous trois sont grands et forts, alors que l'autre йtait un petit brun, avec un bout de moustache. Lorsqu'il s'excusa, je remarquai nettement sa voix douce, une voix de femme. Je m'en souviens parfaitement, monsieur.
Un petit homme brun а la voix de femme, rйpйta M. Bouc.
Les trois conducteurs et Hildegarde Schmidt venaient de quitter le wagon- restaurant.
M. Bouc fit un geste de dйcouragement.
Je n'y comprends rien. Rien de rien ! Cet ennemi dont parlait Ratchett se trouvait donc dans le train ? Oщ est-il passй ? S'est-il йvanoui en fumйe ? J'y perds la tкte ! Voyons, mon ami, parlez, dite quelque chose ! Montrez-nous que l'impossible peut devenir possible.
Voilа une excellente phrase, dit Poirot. L'impossible ne peut s produire, dont l'impossible doit devenir possible, malgrй les apparences.
Alors, expliquez-moi vite ce qui s'est passй cette nuit dans le train.
Je ne suis pas un sorcier, mon cher. Vous me voyez aussi perplexe que vous- mкme. Cette affaire avance faзon bizarre.
Elle n'avance pas du tout. Nous piйtinons sur place.
Comment ? Ne possйdons-nous pas les dйpositions des voyageurs ?
Elles ne nous apportent rien d'utile.
Je ne partage pas votre avis.
J'exagиre peut-кtre. L'Amйricain Hardman et la femme de chambre allemande ont enrichi nos connaissances, allez-vous dire ? Eh bien, moi, je prйtends qu'ils ont encore compliquй l'affaire.
Non, non et non !
Alors, parlez, suppliez M. Bouc. Nous йcoutons l'Oracle !
Ne vous ai-je pas dit, voilа un instant, que j'йtais moi-mкme trиs perplexe ? Mais, du moins, nous pouvons tabler sur des faits, les examiner et les classer avec ordre et mйthode.
Je vous en prie, continuez, implora le docteur Constantine.
Poirot s'йclaircit la gorge et rangea les papiers йtalйs devant lui sur la table.
Revoyons les faits comme ils se prйsentent en ce moment. Tout d'abord, la victime, Ratchett, alias Cassetti, frappйe de douze coups de couteau, meurt cette nuit. Voilа un fait tangible.