Trois jours plus tard, Arthur mourait dans des conditions surprenantes. Une fois par mois, il allait faire une « toilette complète » dans un « bains-douches » de la rue des Martyrs, se contentant le reste du temps de s'asperger la tête d'eau — il prétendait qu'un excès d'hygiène était la porte ouverte à toutes les maladies. En entrant dans sa baignoire, son pied avait glissé et, dans la chute qui s'était ensuivie, il s'était fracturé les vertèbres cervicales. Son corps, agité des convulsions dernières, faisait un angle droit avec sa tête, immergée dans l'eau bouillante, la mort par asphyxie précédant la mort par la destruction des centres nerveux. Ce jour-là, Kalwozyac jura qu'il ne ferait jamais, plus de voyances, trop de choses le dépassant dans ce domaine. Il fit ses adieux à Louise, effondrée par son brutal veuvage, l'assura de son soutien moral, passa à la banque pour y rafler l'argent qu'il y avait déposé et se précipita dans un train, direction le Portugal : à Cascaïs, il y verrait sûrement plus clair. D'instinct, il avait choisi ce minuscule port de pêche pour but de son voyage, se référant, sans le savoir, à un déterminisme qui l'avait déjà poussé à en choisir le nom pour établir la raison sociale de son industrie. En cours de trajet, il fut bien obligé de concéder que trois prédictions de ce genre, apparues dans les cartes avec une telle netteté et confirmées par les faits, ne pouvaient être dues au seul hasard. Il était donc placé devant l'alternative suivante, soit renoncer à ce qui lui semblait un bon moyen idéal de gagner sa vie, soit poursuivre dans cette voie, mais y perdre à jamais la sécurité de son système de pensée. Il opta pour la première proposition, plaçant sans hésiter son confort intellectuel avant sa fortune. Toutefois, l'habitude étant une seconde nature, il ne put résister, sous le prétexte mensonger de mieux s'exorciser, au plaisir de se tirer les cartes, pour la première et la dernière fois de sa vie : elles parlèrent.
Elles lui indiquèrent qu'une manne d'or allait choir sur lui, pour peu qu'il prît la peine d'aller la chercher où elle se trouvait, bien au chaud à l'attendre, c'est-à-dire dans un établissement de jeux. Le Prophète, qui n'avait jamais joué, se fit un petit tour supplémentaire pour avoir davantage de détails : les cartes confirmèrent, répétant leur message avec la même obstination têtue.
Le train arrivait à Lisbonne. Kalwozyac changea de ligne et grimpa dans un autorail qui faisait la navette avec Estoril, à trente kilomètres de là. En sortant de la gare, il fut ébloui par la douceur de l'air où se mêlait, aux parfums de fleurs venus de la terre, l'odeur puissante de la mer. A Paris, en ce début d'avril, l'hiver refusait de battre en retraite. Ici, c'était le printemps, paré d'une grâce presque exotique, cactus, cerisiers, eucalyptus et menthe. La première chose qu'il vit, trônant comme un glorieux baba sur un fond de jardins taillés à la française et de parterres de roses, ce fut le casino. Instinctivement, il tâta de la main la poche où il avait caché son capital et, à ce geste, comprit aussitôt avec horreur qu'il était prêt à risquer de le perdre. Il prit un taxi pour Cascaïs, dénicha un hôtel tapissé de céramiques comme un urinoir gai, au-dessus d'un restaurant baptisé