Michael fait un geste vers elle. Elle le repousse avec rage. Elle saute de la table et part au galop vers la sortie :
« Nom de Dieu! Je vais savoir ce que c'est que cette nouvelle connerie! »
Au moment où elle s'apprête à sortir, Michael intervient : « Madame Mikolofides… Prenez au moins cette serviette… Vous êtes nue! »
6
Lorsque l'avion atterrit à Baran, le Grec précisa à son pilote :
« Ne vous éloignez pas de l'appareil. Restez à votre poste avec le radio. Ils seraient capables de faucher l'avion ou de le démonter pour le revendre en pièces détachées. »
Sur la piste, Satrapoulos aperçut une voiture qui venait dans sa direction, une Rolls, bien entendu, portant un fanion aux armes de Baran. Il se pinça violemment les narines et souffla très fort, pour déboucher ses oreilles. Il entendit alors le chuintement des pneus de la voiture sur le goudron en ébullition. Un homme en sortit, ouvrit la portière arrière et s'effaça pour laisser passer S.S. Socrate, dès qu'il avait lu les journaux du matin, avait appelé Hadj Thami el-Sadek, le priant de le recevoir de toute urgence. Il se trouvait à Rome où il avait vendu onze pétroliers fatigués à un consortium d'hommes d'affaires italiens. Lena, après la soirée de Londres, avait tenu à se rendre en France, invitée pour un long week-end à Saint-Jean-Cap-Ferrat par des amis français. Quels amis? Elle ne le lui avait même pas dit. Il n'allait pas la revoir de quelques jours, car elle lui avait annoncé qu'elle partirait pour New York aussitôt après.
« Avez-vous fait un bon voyage? »
Satrapoulos jeta les yeux sur son compagnon, dont il savait qu'il était le conseiller très écouté de l'émir de Baran. L'homme était jeune, vêtu à l'orientale, et parlait un anglais sans accent : études de droit international à Londres, probablement, avant de retourner faire la loi chez lui.
« Excellent, je vous remercie. J'ai eu le prince ce matin, et il m'a annoncé qu'il était en parfaite santé.
— Oui, parfaite, bien qu'il ne néglige pas sa peine.
— C'est un homme remarquable et un souverain très avisé. Puissions-nous avoir les mêmes en Europe. »
L'Arabe sourit :
« Vous ne manquez pas de grands hommes.
— Oui, tant qu'ils ne sont pas au pouvoir. Ensuite, ils sombrent dans la démagogie pour être réélus. Quelle grandeur peut résister à ce régime?
— Vous semblez regretter la monarchie?
— Je déplore simplement que le système démocratique pousse tout pouvoir vers la démagogie. »
Le conseiller lança avec humour :
« Ma foi, ce n'est qu'une situation inversée. Jadis, vos monarques poussaient le peuple à la courtisanerie. La bassesse a changé de camp, c'est tout. Il s'agit d'une affaire de nombres. »
A son tour, le Grec sourit. La voiture filait sur une route plate, dans un paysage parfaitement plat où il n'y avait rien, strictement rien. Le sol, le ciel, le soleil. Et en dessous, peut-être, le pétrole, bien que les forages n'aient jamais rien donné jusqu'à présent. Avaient-ils eu l'idée d'en faire effectuer dans la mer, au large? La route semblait se dérouler dans du vide, droite dans un espace sans limite, semblant partie de rien pour arriver nulle part. Baran, c'était à dix kilomètres. A l'inverse des agglomérations européennes, rien n'indiquait que la ville existât, aucune approche, aucun faubourg. Simplement, elle était là, on y entrait comme dans un mur, par une avenue large bordée de buildings modernes, une douzaine. Au bout de l'avenue, la route s'arrêtait tout net après deux kilomètres rectilignes dans le sable. Et là encore, il n'y avait plus rien, qu'une vague piste qu'on devinait aux traces laissées par les caravanes au long des siècles.
« Le prince m'a prié de vous déposer à votre résidence. Il se tient à votre disposition pour avoir l'entretien que vous souhaitez quand il vous plaira.
— Malheureusement, il me sera impossible de profiter de son hospitalité. Des tâches très importantes m'attendent. Je dois être à Athènes ce soir même.
— Comme il vous plaira. »
L'Arabe aboya un mot au chauffeur, puis, se tournant vers Satrapoulos :
« Nous allons donc nous rendre immédiatement dans la maison du prince. »