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Charles Schweitzer était trop comédien pour n'avoir pas besoin d'un Grand Spectateur mais il ne pensait guère à Dieu sauf dans les moments de pointe; sûr de le retrouver à l'heure de la mort, il le tenait à l'écart de sa vie. Dans le privé, par fidélité à nos provinces perdues, à la grosse gaîté des antipapistes, ses frères, il ne manquait pas une occasion de tourner le catholicisme en ridicule: ses propos de table ressemblaient à ceux de Luther. Sur Lourdes, il ne tarissait pas: Bernadette avait vu «une bonne femme qui changeait de chemise»; on avait plongé un paralytique dans la piscine et, quand on l'en avait retiré, «il voyait des deux yeux». Il racontait la vie de saint Labre, couvert de poux, celle de sainte Marie Alacoque, qui ramassait les déjections des malades avec la langue. Ces bourdes m'ont rendu service: j'inclinais d'autant plus à m'élever au-dessus des biens de ce monde que je n'en possédais aucun et j'aurais trouvé sans peine ma vocation dans mon confortable dénuement; le mysticisme convient aux personnes déplacées, aux enfants surnuméraires: pour m'y précipiter, il aurait suffi de me présenter l'affaire par l'autre bout; je risquais d'être une proie pour la sainteté. Mon grand-père m'en a dégoûté pour toujours: je la vis par ses yeux, cette folie cruelle m'écœura par la fadeur de ses extases, me terrifia par son mépris sadique du corps; les excentricités des saints n'avaient guère plus de sens que celles de l'Anglais qui plongea dans la mer en smoking. En écoutant ces récits, ma grand-mère faisait semblant de s'indigner, elle appelait son mari «mécréant» et «parpaillot», elle lui donnait des tapes sur les doigts mais l'indulgence de son sourire achevait de me désabuser; elle ne croyait à rien; seul, son scepticisme l'empêchait d'être athée. Ma mère se gardait bien d'intervenir; elle avait «son Dieu à elle» et ne lui demandait guère que de la consoler en secret. Le débat se poursuivait dans ma tête, affaibli: un autre moi-même, mon frère noir, contestait languissamment tous les articles de foi; j'étais catholique et protestant, je joignais l'esprit critique à l'esprit de soumission. Dans le fond, tout cela m'assommait: je fus conduit à l'incroyance non par le conflit des dogmes mais par l'indifférence de mes grands-parents. Pourtant, je croyais: en chemise, à genoux sur le lit, mains jointes, je faisais tous les jours ma prière mais je pensais au bon Dieu de moins en moins souvent. Ma mère me conduisait le jeudi à l'Institution de l'abbé Dibildos: j'y suivais un cours d'instruction religieuse au milieu d'enfants inconnus. Mon grand-père avait si bien fait que je tenais les curés pour des bêtes curieuses; bien qu'ils fussent les ministres de ma confession, ils m'étaient plus étrangers que les pasteurs, à cause de leur robe et du célibat. Charles Schweitzer respectait l'abbé Dibildos – «un honnête homme!» – qu'il connaissait personnellement, mais son anticléricalisme était si déclaré que je franchissais la porte cochère avec le sentiment de pénétrer en territoire ennemi. Quant à moi, je ne détestais pas les prêtres: ils prenaient pour me parler le visage tendre, massé par la spiritualité, l'air de bienveillance émerveillée, le regard infini que j'appréciais tout particulièrement chez Mme Picard et d'autres vieilles amies musiciennes de ma mère; c'était mon grand-père qui les détestait par moi. Il avait eu, le premier, l'idée de me confier à son ami, l'abbé, mais il dévisageait avec inquiétude le petit catholique qu'on lui ramenait le jeudi soir, il cherchait dans mes yeux le progrès du papisme et ne se privait pas de me plaisanter. Cette situation fausse ne dura pas plus de six mois. Un jour, je remis à l'instructeur une composition française sur la Passion; elle avait fait les délices de ma famille et ma mère l'avait recopiée de sa main. Elle n'obtint que la médaille d'argent. Cette déception m'enfonça dans l'impiété. Une maladie, les vacances m'empêchèrent de retourner à l'Institution Dibildos; à la rentrée, j'exigeai de n'y plus aller du tout. Pendant plusieurs années encore, j'entretins des relations publiques avec le Tout-Puissant; dans le privé, je cessai de le fréquenter. Une seule fois, j'eus le sentiment qu'il existait. J'avais joué avec des allumettes et brûlé un petit tapis; j'étais en train de maquiller mon forfait quand soudain Dieu me vit, je sentis Son regard à l'intérieur de ma tête et sur mes mains; je tournoyai dans la salle de bains, horriblement visible, une cible vivante. L'indignation me sauva: je me mis en fureur contre une indiscrétion si grossière, je blasphémai, je murmurai comme mon grand-père: «Sacré nom de Dieu de nom de Dieu de nom de Dieu.» Il ne me regarda plus jamais.

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Порфирий — древнегреческий философ, представитель неоплатонизма. Ученик Плотина, издавший его сочинения, автор жизнеописания Плотина.Мы рады представить читателю самый значительный корпус сочинений Порфирия на русском языке. Выбор публикуемых здесь произведений обусловливался не в последнюю очередь мерой малодоступности их для русского читателя; поэтому в том не вошли, например, многократно издававшиеся: Жизнь Пифагора, Жизнь Плотина и О пещере нимф. Для самостоятельного издания мы оставили также логические трактаты Порфирия, требующие отдельного, весьма пространного комментария, неуместного в этом посвященном этико-теологическим и психологическим проблемам томе. В основу нашей книги положено французское издание Э. Лассэ (Париж, 1982).В Приложении даю две статьи больших немецких ученых (в переводе В. М. Линейкина), которые помогут читателю сориентироваться в круге освещаемых Порфирием вопросов.

Порфирий

Философия