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Je décidai de prendre la parole et de vivre en musique. J'en avais l'occasion chaque soir vers cinq heures. Mon grand-père donnait ses cours à l'Institut des Langues Vivantes; ma grand-mère, retirée dans sa chambre, lisait du Gyp; ma mère m'avait fait goûter, elle avait mis le dîner en train, donné les derniers conseils à la bonne; elle s'asseyait au piano et jouait les Ballades de Chopin, une Sonate de Schumann, les variations symphoniques de Franck, parfois, sur ma demande, l'ouverture de La Grotte de Fingal. Je me glissais dans le bureau; il y faisait déjà sombre, deux bougies brûlaient au piano. La pénombre me servait, je saisissais la règle de mon grand-père, c'était ma rapière, son coupe-papier, c'était ma dague; je devenais sur-le-champ l'image plate d'un mousquetaire. Parfois, l'inspiration se faisait attendre: pour gagner du temps, je décidais, bretteur illustre, qu'une importante affaire m'obligeait à garder l'incognito. Je devais recevoir les coups sans les rendre et mettre mon courage à feindre la lâcheté. Je tournais dans la pièce, l'œil torve, la tête basse, traînant les pieds; je marquais par un soubresaut de temps à autre qu'on m'avait lancé une gifle ou botté le derrière, mais je n'avais garde de réagir: je notais le nom de mon insulteur. Prise à dose massive, la musique agissait enfin. Comme un tambour vaudou, le piano m'imposait son rythme. La Fantaisie-Impromptu se substituait à mon âme, elle m'habitait, me donnait un passé inconnu, un avenir fulgurant et mortel; j'étais possédé, le démon m'avait saisi et me secouait comme un prunier. A cheval! J'étais cavale et cavalier; chevauchant et chevauché, je traversais à fond de train des landes, des guérets, le bureau, de la porte à la fenêtre. «Tu fais trop de bruit, les voisins vont se plaindre», disait ma mère sans cesser de jouer. Je ne lui répondais pas puisque j'étais muet. J'avise le duc, je mets pied à terre, je lui fais savoir par les mouvements silencieux de mes lèvres que je le tiens pour un bâtard. Il déchaîne ses reîtres, mes moulinets me font un rempart d'acier; de temps en temps je transperce une poitrine. Aussitôt, je faisais volte-face, je devenais le spadassin pourfendu, je tombais, je mourais sur le tapis. Puis, je me retirais en douce du cadavre, je me relevais, je reprenais mon rôle de chevalier errant. J'animais tous les personnages: chevalier, je souffletais le duc; je tournais sur moi-même; duc, je recevais le soufflet. Mais je n'incarnais pas longtemps les méchants, toujours impatient de revenir au grand premier rôle, à moi-même. Invincible, je triomphais de tous. Mais, comme dans mes récits nocturnes, je renvoyais aux calendes mon triomphe parce que j'avais peur du marasme qui suivrait.

Je protège une jeune comtesse contre le propre frère du Roi. Quelle boucherie! Mais ma mère a tourné la page; l'allégro fait place à un tendre adagio; j'achève le carnage en vitesse, je souris à ma protégée. Elle m'aime; c'est la musique qui le dit. Et moi, je l'aime aussi, peut-être: un cœur amoureux et lent s'installe en moi. Quand on aime, que fait-on? Je lui prenais le bras, je la promenais dans une prairie: cela ne pouvait suffire. Convoqués en hâte, les truands et les reîtres me tiraient d'embarras: ils se jetaient sur nous, cent contre un; j'en tuais quatre-vingt-dix, les dix autres enlevaient la comtesse.

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Порфирий — древнегреческий философ, представитель неоплатонизма. Ученик Плотина, издавший его сочинения, автор жизнеописания Плотина.Мы рады представить читателю самый значительный корпус сочинений Порфирия на русском языке. Выбор публикуемых здесь произведений обусловливался не в последнюю очередь мерой малодоступности их для русского читателя; поэтому в том не вошли, например, многократно издававшиеся: Жизнь Пифагора, Жизнь Плотина и О пещере нимф. Для самостоятельного издания мы оставили также логические трактаты Порфирия, требующие отдельного, весьма пространного комментария, неуместного в этом посвященном этико-теологическим и психологическим проблемам томе. В основу нашей книги положено французское издание Э. Лассэ (Париж, 1982).В Приложении даю две статьи больших немецких ученых (в переводе В. М. Линейкина), которые помогут читателю сориентироваться в круге освещаемых Порфирием вопросов.

Порфирий

Философия