L’homme de Cro, l’homme de Ma, l’homme de Gnon, l’homme de Cro-Magnon, chantaient les Frères Jacques, comme pour saluer la survenue sur terre de notre ancêtre direct. N’oublions pas que, lorsque apparaît cet homme nouveau en Europe, nous sommes encore au paléolithique supérieur, il y a environ 35 000 ans. Le climat est encore très capricieux, et souvent il fait un froid de canard pendant 1 000 ou 2 000 ans. Une calotte glaciaire s’élève au nord de la France et constitue un étrange et gigantesque mur blanc qui borde une Manche n’existant pas : on va à pied de France en Angleterre. Le niveau de la mer est de 110 mètres inférieur à ce qu’il est aujourd’hui. Ainsi, la Loire se jette dans l’océan à 150 kilomètres au sud-ouest de Saint-Nazaire ! Les îles sont rattachées au continent, et lorsqu’on habite à l’emplacement de l’île d’Ouessant, il faut faire 50 kilomètres à pied vers l’ouest pour aller bronzer sur la plage, pendant une période de dégel ! La France du Nord est celle du froid, de -5° à -70°, celle du sud est comme d’habitude favorisée par les températures : 15°.
La grotte de Lascaux
Le 12 septembre 1940, quatre enfants se promènent dans la campagne de Montignac-sur-Vézère en Dordogne : Georges Agnel, Jacques Marsal, Marcel Ravidat et Simon Coencas ; ils sont accompagnés de Robot, le chien de Marcel Ravidat. Soudain, Robot gratte le sol et disparaît dans une sorte de crevasse qui a servi de dépôt d’ordures. Le chien ne remontant pas, les enfants descendent le chercher et découvrent une grotte immense. Sur ses parois : le plus grand trésor pictural de la préhistoire ! Depuis 15 000 ans, personne n’avait fait face à ce qu’ils contemplent ! La grotte de Lascaux et ses secrets viennent de se livrer à l’imagination de l’homme moderne.
Et à quoi les Cro-Magnon occupaient-ils leur temps ? Eh bien, ils l’occupaient comme nous le faisons aujourd’hui : par exemple, ils allaient faire leurs courses pour manger. Mais leur supermarché, c’était la vaste nature. Ils en rapportent du gibier de toutes sortes qu’ils dépècent dans des zones précises leur servant d’abattoirs. Et puis, lorsque le froid revient, ils se réfugient dans les grottes sur les parois desquelles ils dessinent et peignent des animaux. En contemplant les dessins de la grotte de Lascaux, pompeusement baptisée « la chapelle Sixtine de l’histoire », et à propos de laquelle Picasso déclara « On n’a jamais fait mieux depuis ! » (ah bon ?), notre premier réflexe est de baptiser œuvres d’art ces dessins étranges. Œuvres d’art ? Pas si sûr !
On a avancé récemment l’hypothèse suivante : les peintures rupestres seraient des « aide-mémoire » pour les chasseurs, des pages qui indiquent la valeur bouchère des espèces, et même des documentaires animaliers remplaçant ceux d’Arte, en attendant… Mais on ne peut mettre de côté la valeur esthétique des dessins de Lascaux, la splendeur étrange des représentations animales et humaines. On ne peut s’empêcher d’imaginer quelque chaman implorant, sous ces dessins illuminés et lumineux, quelque divinité de la chasse afin qu’elle révèle au groupe affamé les bons plans de bisons futés…
On a longtemps cru que l’homme préhistorique, parce qu’il disposait de beaucoup d’espace et que le gibier était abondant, ne s’attaquait pas à ses semblables. On a imaginé des groupes pacifiques vivant de la cueillette, de la pêche et de la chasse dans une sorte de béatitude bienheureuse que les temps modernes auraient gâtée, que la société aurait corrompue ! Eh bien, déchantons en chœur : l’homme préhistorique, l’homme de Cro-Magnon, notre ancêtre, est aussi belliqueux que nous à travers nos siècles de guerres et de massacres. On a pu reconstituer le scénario d’attaques menées contre des groupes d’hommes, de femmes, de vieillards et d’enfants en train de dépecer tranquillement le produit de leur chasse dans une sorte de campement. Tout le monde sans distinction est passé au fil de la pointe de silex, de la lance ou d’autres armes – des casse-tête – violemment manœuvrées. Et ce scénario se répète en de nombreux sites identifiés.