On peut objecter que Cro-Magnon est aussi un artiste : il sait sculpter de petits chefs-d’œuvre en ivoire, il sait faire quelques trous dans un tibia pour se confectionner une flûte. Mais n’oublions pas qu’il possède, comme nous, 98,5 % du patrimoine génétique du chimpanzé chez lequel Jane Goodal, primatologue, a mis en évidence en 1980 des comportements guerriers qui ressortissent à l’instinct. Désormais, lorsque vous relirez sous la plume du grand Jean-Jacques Rousseau (1712 - 1778) : « L’homme est naturellement bon », vous lui emboîterez peut-être moins facilement le pas vers certaines naïvetés moins innocentes qu’il n’y paraît…
-15000 : camping itinérant
Reprenons la course de l’homme dans le fil des années. Situons-nous en -15000. Tiens : voici un magdalénien. Qu’est-ce qu’un magdalénien ? Un contemporain de Cro-Magnon, plus petit, descendu du nord à la poursuite de rennes, et qui s’est installé en Dordogne, notamment dans la grotte de La Madeleine près des Eysies (d’où son nom : magdalénien). Il fait en France un froid de Sibérie, il neige pendant six ou huit mois par an. L’été, le magdalénien quitte ses grottes pour aller camper, par exemple au bord de la Seine, à Montereau où, en mai 1964, on a découvert les traces du passage d’une tribu traquant le renne. Peu à peu, le climat se réchauffe, les glaciers fondent, la steppe recule et laisse place à de larges fleuves et rivières, à d’immenses forêts. Nous sommes entre -10000 et -5000. Notre Français de l’époque s’appelle l’Azilien (nom donné à partir des sites découverts au Mas-d’Azil en Ariège). Le gros gibier migre vers l’Europe du Nord. Il va falloir faire preuve d’ingéniosité pour survivre : c’est, après la fin du paléolithique, le mésolithique.
-5000 : l’économie de production
L’ingéniosité se manifeste d’abord par la création ou le perfectionnement de l’arc et de la flèche. Peu à peu, cet instrument de chasse (et de guerre…) devient aussi efficace à cinquante mètres que des plombs de chasse de 12 ou 14, traversant presque de part en part un ours, et a fortiori
, un homme. Ces groupes d’archers sont accompagnés d’un animal qui s’est apprivoisé progressivement, attiré sans doute par une nourriture variée et facile contre une soumission de tout instant : le chien. Plutôt caractéristiques du mésolithique, les archers voient arriver peu à peu d’autres hommes venus de loin qui savent conserver à portée de silex des troupeaux d’animaux peu sauvages, le mouton ou le porc par exemple. Ils découvrent aussi qu’en plantant et replantant, il est possible de récolter régulièrement et de prévoir « quelques grains pour subsister jusqu’à la saison nouvelle »… La cigale qu’était le cueilleur est remplacée par la fourmi-agriculteur. Voici donc notre homme qui inaugure, vers -5 000, à la fois le néolithique, période de la « nouvelle pierre » ou « pierre polie », et l’économie de production, l’ère du rendement !Civilisation cardiale, civilisation rubanée
Intrigants, ces deux mots : cardiale et rubanée… Voici l’explication : la création de l’agriculture, conséquence instantanée de la sédentarisation au néolithique, s’est effectuée à partir de deux axes de pénétration des influences étrangères :
du sud celles des Méditerranéens ;
de l’est sont venues les habitudes des Danubiens.
On le remarque notamment sur les poteries différemment décorées :
les poteries « cardiales » décorées avec le rebord d’un coquillage appelé « cardium », caractéristiques du Midi (pénétration méditerranéenne) ;
les poteries « rubanées » imprimées de spirales, d’entrecroisements harmonieux de volutes dans l’argile, trouvées dans la partie nord de la France (pénétration danubienne).
Les villages aussi sont différents
Ceux du Midi rassemblent dans de petites maisons des groupes peu nombreux qui réservent encore à la chasse une part importante de leur subsistance.
Ceux du Nord sont constitués de maisons tout en longueur, entre dix et quarante mètres – leur largeur varie de six à huit mètres.
Dans les villages du Nord, on entrepose les récoltes de blé, d’orge, de légumes séchés ; la viande de consommation courante provient des animaux d’élevage. On tisse des étoffes, on fabrique des poteries, on enterre les morts. Bref, la routine s’installe…
À table !