Les suites de l’affaire Dreyfus vont donner l’avantage à un gouvernement de défense républicaine. L’antisémitisme qui s’est déchaîné est victime de ses outrances, de ses dérives. Aux obsèques de Félix Faure, Paul Déroulède, le créateur de la Ligue des patriotes, tente un coup d’État qui échoue piteusement : le régiment qu’il voulait entraîner à sa suite vers l’Élysée pour prendre le pouvoir n’avance pas d’un centimètre. Les nationalistes ne désarment pas : le nouveau président Émile Loubet est assailli le 4 juin 1899 par une bande d’agités sur le champ de courses d’Auteuil, il est traité de président des Juifs, le baron Christiani lui donne même des coups de canne sur le tête !
Des coups de canne sur la tête d’Émile Loubet, le président ! C’en est trop : Pierre Waldeck-Rousseau – républicain qui, avec Ferry, a fait voter en 1884 la loi sur les syndicats professionnels – devient président du conseil. Son gouvernement de défense républicaine est composé de radicaux, mais aussi d’Alexandre Millerand, le Premier ministre socialiste de la République. Le trublion Déroulède est condamné au bannissement, les chefs de la ligue antisémite sont poursuivis. En octobre 1900, Waldeck-Rousseau prononce à Toulouse un discours qui va faire grand bruit : il y dénonce les moines ligueurs et les moines d’affaires, il montre du doigt les religieux congrégationnistes, parle du milliard des congrégations !
Le 4 juin 1902, Waldeck-Rousseau, gravement malade, démissionne. C’est alors qu’arrive sous les projecteurs de la scène politique, un Sénateur radical, le plus radical des radicaux : Émile Combes – « le petit père Combes », hypocoristique créé par l’histoire. C’est un ancien séminariste. Reçu docteur en théologie avec une thèse sur saint Thomas d’Aquin en 1860, il commence à enseigner, mais à la manière de Renan, une petite voix lui susurre au tréfonds de ce qu’il ne nomme plus alors son âme mais sa conscience « Ce n’est pas vrai, tout cela n’est pas vrai ! » ; bref, il devient athée. Non seulement athée, mais pris d’une sorte de frénésie vengeresse contre le goupillon ! Devenu médecin, il exerce un temps puis est élu Sénateur en 1885. Président du Conseil, ministre de l’Intérieur et des Cultes en mai 1902 –, il a soixante-sept ans – il prend pour levier la loi de 1901 et fait basculer dans l’illégalité des centaines de congrégations non autorisées. Son objectif avoué est de les supprimer toutes jusqu’à la dernière !
L’anticléricalisme masque le malaise social
Bloc républicain, bloc de la défense républicaine, ou bloc des gauches ? Ces trois noms recouvrent une coalition de parlementaires de gauche soutenant Waldeck-Rousseau depuis 1889. Elle soutient aussi Dreyfus et triomphe aux élections législatives d’avril 1902, réunissant des socialistes, des républicains modérés, des radicaux socialistes et des radicaux. Ces derniers sont les plus nombreux, Combes à leur tête. Dans leur collimateur, l’Église ! Ils vont développer un anticléricalisme tellement outré que les socialistes vont prendre leurs distances par rapport à cette attitude qui masque le malaise social, et n’agit pas pour l’atténuer ; les grèves organisées par la CGT se multiplient. Le parti socialiste se réorganise. Le bloc des gauches éclate en 1905 lorsque la Section française de l’Internationale ouvrière est créée : la SFIO.