Qui donc a pu transmettre ces documents ? De quels indices dispose-t-on ? De l’écriture de l’envoyeur, bien visible sur le bordereau. C’est mince ! Mais c’est suffisant pour le ministre de la Guerre, le général Mercier : il croit reconnaître, puis il reconnaît l’écriture du capitaine Afred Dreyfus, polytechnicien, ancien élève de l’École de guerre ! Dreyfus tombe des nues : il clame son innocence, en vain ! Il est Juif, et le sentiment antisémite est exacerbé dans l’armée tout entière. Le 15 octobre 1894, après une enquête du commandant du Paty de Clam, il est arrêté et écroué à la prison du Cherche-Midi.
Alfred Dreyfus va passer en conseil de guerre. Le 22 décembre, le général Mercier communique au juge, à l’insu des avocats de Dreyfus, des preuves secrètes destinées à accabler l’accusé. En réalité ces preuves sont des faux ! Dreyfus est reconnu coupable, il est condamné à la dégradation militaire, et à la déportation à perpétuité. Jaurès – qui rattrapera plus tard cette déclaration… – affirme à la Chambre des députés, le 24 décembre 1894, qu’il se lave les mains du sort de ce capitaine juif, et que la peine qui lui est infligée est bien trop douce, la mort eût été préférable ! Le 5 janvier 1895, dans la cour des Invalides, Dreyfus est dégradé. Le 21, il embarque pour l’île du Diable, en Guyane.
Dans le camp de Dreyfus, on ne désarme pas. Son propre frère, Mathieu, n’admet pas le silence coupable qui entoure l’affaire. Il trouve une aide précieuse auprès d’un officier du service des renseignements, le colonel Picquart. Celui-ci détient la preuve qu’entre l’attaché militaire allemand, Schwarzenkoppen, et un officier français d’origine hongroise, Esterhazy, joueur invétéré, existe une abondante correspondance secrète. Picquart sait qu’il tient le coupable : Esterhazy ! Il en informe le chef de l’état-major, le général de Boisdeffre qui, pour toute réponse, l’envoie poursuivre sa carrière dans… le Sud tunisien ! Mathieu Dreyfus s’adresse alors au journaliste Bernard-Lazare qui publie en 1896 une brochure où l’innocence du capitaine est démontrée. Personne ne s’y intéresse, sauf un vieux Sénateur, Scheur-Kestner, qui publie dans le journal
Le 10 janvier 1898, Esterhazy passe devant le conseil de guerre… qui l’acquitte ! Dès lors, partout en France, dans les usines, dans les bureaux, dans les chaumières, les campagnes, les familles, dans les ménages même, deux camps vont s’affronter, parfois violemment : les dreyfusards – toute la gauche radicale, les socialistes qui suivent Jaurès, revenu de son jugement de 1894… – et les anti-dreyfusards – la droite nationaliste, autour de Déroulède, soutenue par la presse catholique. Émile Zola suit l’affaire. Convaincu de l’innocence de Dreyfus, il déclare : « La vérité est en marche, rien ne peut plus l’arrêter ! » Conscient de l’immensité du mensonge qui, depuis quatre ans, n’inquiète que fort peu les bonnes consciences, il propose au journal
Cruciale Fachoda
Fachoda, c’est une petite ville, au cœur du Soudan, sur les bords du Nil blanc. Le 18 septembre 1898, le capitaine Jean-Baptiste Marchand qui dirige une expédition française baptisée Congo-Nil, voit arriver une armée britannique de 20 000 hommes sous les ordres du général Kitchener. Le projet de la République française est de constituer en Afrique un axe ouest-est – du Sénégal à Djibouti. Celui des Anglais consiste à installer un axe nord-sud, de l’Égypte au Cap. Et Fachoda est le point crucial – le point au centre de la croix – de ces deux volontés colonialistes. Qui va passer ? Faut-il que la France et l’Angleterre se déclarent la guerre pour Fachoda ? Le ministre des Colonies, Delcassé, farouche partisan de la revanche contre l’Allemagne, envisage une alliance avec l’Angleterre pour récupérer l’Alsace et la Lorraine. Il décide donc de laisser l’avantage aux Anglais à Fachoda : Marchand est sommé de se retirer ! Le 21 mars 1899, les Anglais entrent en possession de la totalité du bassin du Nil ! En France, cette décision choque l’opinion, mais les passions déchaînées par l’affaire Dreyfus font bien vite passer au second plan la plus que fâcheuse reculade de Fachoda.