Soir du dimanche 27 janvier 1889 : Boulanger est majoritaire partout – sauf dans le IIIe
arrondissement. Alors qu’il dîne près de La Madeleine, son œillet rouge à la boutonnière, une foule immense se met à scander : « À l’Élysée ! À l’Élysée ! » Le coup d’État est à sa portée, quelques centaines de mètres, et le voici maître de la France entière ! Mais Boulanger sait que sa maîtresse, la vicomtesse Marguerite de Bonnemain, l’attend. Il craint fort qu’elle n’approuve pas ce projet de coup d’État ! N’y perdrait-elle pas un peu de son général adoré qu’elle veut tout pour elle ? Au lieu d’aller à l’Élysée, Boulanger, au grand désespoir de ses partisans, va donc la retrouver, dans l’intimité de leur appartement de la rue Dumont d’Urville ! Début avril, le bruit court que Boulanger va être arrêté pour mise en danger de la sécurité de l’État. L’ayant appris, il s’en effraie : s’il est emprisonné, il sera séparé de Marguerite ! Les voici donc qui s’enfuient tous deux en Belgique, le 2 avril 1889 !« Il est mort comme il a vécu : en sous-lieutenant ! »
Suivons encore un peu dans le temps les deux amoureux Marguerite et Georges : installé à Ixelles, le général lance, le 11 novembre 1889, en direction de la France, un appel à former une République populaire. Aucune réponse. De personne ! Sauf d’une dizaine d’irréductibles devant le Palais-Bourbon, mais qui déguerpissent en vitesse à l’arrivée des forces de l’ordre ! Plus rien jusqu’au 16 juillet 1891 : ce jour-là, à Ixelles, Marguerite, depuis quelques années atteinte de tuberculose, s’éteint dans les bras du général qui la soignait sans relâche ! Le 30 septembre suivant, ne supportant pas la disparition de celle qu’il aimait, le général Georges Boulanger se rend au petit cimetière d’Ixelles. Il est sombre et déprimé. Vers midi un quart, il prend un pistolet de gros calibre dont il place le canon sur sa tempe gauche. Il presse la détente. La balle ressort par la tempe droite. La mort est instantanée. Clemenceau aura cette phrase assassine pour son ancien protégé : « Boulanger est mort comme il a vécu : en sous-lieutenant ! »
Les petits épargnants, les petits porteurs ne sont pas à la fête à partir de 1881. En effet, si le percement de l’Isthme de Suez fut un succès, celui de Panama va ruiner bon nombre de modestes investisseurs. De grosses fortunes, dans le même temps, deviennent immenses, déclenchant une inquiétante vague de terrorisme.
En dix ans, de 1859 à 1869, Ferdinand de Lesseps, cousin de l’impératrice Eugénie, avait réussi, sans l’aide des banques, à mener à bien le percement de l’isthme de Suez. Une dizaine d’années plus tard, en 1881, il fonde la Compagnie interocéanique qui rassemble les fonds drainés auprès de petits épargnants. Objectif : Panama ! Il s’agit tout simplement de creuser un canal qui reliera les deux océans, le Pacifique et l’Atlantique, entre les deux Amériques. Mais les travaux n’avancent que fort lentement : il faut franchir une cordillère montagneuse, une épidémie de fièvre jaune se déclare. Les fonds sont bientôt totalement épuisés. Il faut de nouveau faire appel aux épargnants. Lesseps verse alors de grosses sommes à la presse – dont
Comment convaincre les députés ? En associant Eiffel à l’entreprise, mais aussi, en fournissant à ceux qui l’acceptent un chèque tout à fait convaincant ! Trois financiers – le baron de Reinach, Cornélius Herz et Lévy-Crémieux – se chargent de cette démarche. L’emprunt est accordé mais, peu de temps après, l’entreprise Panama fait faillite et de nombreux petits épargnants sont ruinés. Le scandale éclate en septembre 1892. Reinach est retrouvé mort à son domicile ! Herz s’enfuit, mais prend le soin de livrer à la presse le nom des 140 députés achetés ! Et Clemenceau, l’ami de Cornélius Herz, va disparaître de la scène politique pour quelques années !