Ces justifications ne choquent pas vraiment à l’époque. Si on reproche à Jules Ferry les investissements coloniaux, c’est qu’on préfère préparer activement – et financièrement – la reconquête de l’Alsace-Lorraine !
Galliéni, Lyautey, Doumer…
La colonisation, c’est le temps de l’exploitation, sur place, d’une main d’œuvre à bon marché, malmenée, méprisée ; c’est le temps des terres confisquées, les meilleures de celles qui se situent sur les onze millions de kilomètres carrés de l’Empire colonial français. Mais c’est aussi le temps des passionnés : la voie avait été ouverte par René Caillé (1799 - 1838) qui était allé jusqu’à Tombouctou. Savorgnan de Brazza (1852 - 1905) explore le Congo qui accepte de se mettre sous tutelle française. Brazza – Vénitien naturalisé français en 1874 – organise le pays de façon remarquable, cherchant par tous les moyens à protéger les Africains des nuées d’exploiteurs qui s’abattent sur le pays. Ses efforts sont réduits à néant : il est relevé de ses fonctions en 1897, afin de laisser le champ libre aux concessionnaires et à leurs pratiques scandaleuses. La colonisation, ce sont aussi les missionnaires – les Pères blancs du cardinal Lavigerie –, c’est Gallieni et Lyautey à Madagascar, c’est Paul Doumer en Indochine. Autant d’hommes qui croient en leur rôle de civilisateurs, créant des écoles, développant l’agriculture, l’artisanat…
Le 10 novembre 1881, Jules Ferry démissionne de la présidence du Conseil. Il laisse la place à celui qui l’attend depuis longtemps : Léon Gambetta. Mais on ne se précipite pas autour de lui : ses projets semblent flous, davantage portés par de belles paroles que par des évaluations réfléchies. En réalité, Gambetta inquiète surtout la haute finance qui voit d’un mauvais œil son souhait d’instaurer l’impôt sur le revenu, de réviser la constitution et, peut-être, de dissoudre la Chambre des députés devenus de plus en plus affairistes. Le ministère est cependant formé, composé en majorité d’amis de Gambetta, on va parler d’une équipe de camarades. Mais, dès le 26 janvier 1882, le ministère Gambetta tombe. Il est remplacé par celui que forme Charles Freycinet, utile appui pour Jules Ferry qui se retrouve à l’Instruction publique.
Le pistolet de Gambetta
Le 27 novembre 1882, dans une maison de Ville-d’Avray, on entend un coup de feu ! On accourt et on trouve Léon Gambetta, sérieusement blessé au bras : une artère est touchée. En déchargeant son pistolet pour le nettoyer, il a fait un faux mouvement. Immédiatement, des rumeurs circulent : c’est un attentat des jésuites, des anarchistes, c’est la vengeance de Léonie Léon, sa maîtresse. Le médecin prescrit alors du repos au bouillant député. Erreur fatale : ce repos contraint exacerbe une inflammation du péritoine dont Gambetta souffre depuis longtemps. Une grave occlusion intestinale se déclare. On ne sait trop si on doit opérer. La mort vient dissiper le doute : elle survient le 31 décembre 1882. Léon Gambetta avait quarante-quatre ans.
L’Annam – Viêt Nam du centre – et le Tonkin – Nord-Viêt Nam –, deux objectifs de Jules Ferry dans son programme de colonisation, presque deux obsessions ! Pour l’Annam, tout va bien : son empereur se place sous le protectorat de la France, et la Chine renonce à sa suzeraineté sur cette partie de l’Indochine. Mais pour le Tonkin, c’est une autre entreprise : la Chine attaque un détachement français – bataille de Lang Son, le 3 février 1885. Jules Ferry tente alors de demander des crédits pour envoyer des renforts combattre les Chinois. Ils lui sont refusés par les députés le 30 mars 1885. Le même jour, 20 000 personnes se sont rassemblées sur la place de la Concorde, émues par le sort des soldats dans le lointain Orient. Aux cris de « À bas Ferry ! », le ministère est renversé. C’est une fort mauvaise affaire pour les républicains qui voient arriver avec crainte les élections d’octobre 1885. Malgré le refus des crédits, un blocus de la Chine est effectué par l’amiral Courbet, la France contrôle alors le Tonkin. Deux ans plus tard, l’Union indochinoise est créée, elle comprend la Cochinchine – Viêt Nam du Sud – l’Annam, le Tonkin, le Cambodge, et, en 1893, le Laos.
Gorges Clemenceau, médecin, républicain vendéen, et homme politique dont la carrière s’annonce longue et mouvementée, promeut un autre George : le général Boulanger. Il met peu de temps à comprendre qu’il a fait une erreur en donnant la parole à ce militaire aux idées myopes qui menacent la République. Pourtant, Boulanger va pousser les Français – et les Françaises qui adorent les uniformes – au délire ! Avant de sombrer lamentablement…