Ainsi s’affaiblit le pouvoir central, au profit des pouvoirs locaux ! Ainsi naît peu à peu l’esprit féodal ! Ainsi apparaissent des unités régionales individualisées avec à leur tête de fortes personnalités dont la caractéristique portée en sobriquet compose une sorte de compagnonnage de la domination. On trouve ainsi Alain Barbe-Torte, Guillaume Tête d’étoupe, Baudouin Bras de fer, Guifred le Poilu, etc. Et les régions se précisent : la Gascogne, la Bourgogne, l’Aquitaine, l’Auvergne, la Bretagne, la Catalogne, etc.
Chaque seigneurie constitue une sorte de petit État dans l’État, avec son seigneur, sa justice, son château…
Partout, les petites villes et les villages se hérissent de châteaux de bois construits sur des mottes naturelles ou élevées par l’abondant charroi de terre. La motte est entourée de fossés. Elle délimite un espace de refuge où se trouve le donjon parfois en pierre, demeure du seigneur, les huttes des domestiques, les tentes de ceux qui sont invités. En cas de danger, les paysans accourent avec leur bétail et ce qu’ils peuvent transporter.
L’alerte est lancée du haut du donjon par un veilleur qui souffle dans une trompe ; beaucoup de témoignages rapportent que non seulement les hommes accourent dans l’enceinte du château, mais les bêtes en liberté – vaches, moutons, chevaux – aussi, habituées qu’elles sont à trouver un refuge derrière les remparts ! Tout le monde se barricade dans l’espace de protection et peut ainsi se préserver des assaillants. Le châtelain assure la protection de tous ceux qui vivent sur ses terres ; il leur garantit la sécurité, en réprimant les troubles qui peuvent survenir, et en appliquant la justice – une potence est toujours disponible. C’est en quelque sorte le commissaire, le gendarme et le juge. Mais tout cela n’est pas gratuit, et le châtelain perçoit des taxes que ses hommes armés sont chargés de lever.
Bienvenue dans le donjon !
À mesure que pour la construction des châteaux, on délaisse le bois pour la pierre, le donjon devient une demeure organisée. Son centre est occupé par une salle où le maître rend la justice, fait dresser de grandes tables sur des tréteaux afin de recevoir ses invités pendant que des jongleurs ou des chanteurs les distraient. Aux murs, des tapisseries représentant des épisodes de l’histoire transformés en légende, des scènes de chasse, de guerre. Le mobilier se compose surtout de bancs, de sièges pliants, de quelques bahuts. Le sol est jonché d’herbes odorantes afin de combattre les mauvaises odeurs. Après le souper, on passe dans la pièce voisine où se trouve une immense cheminée. Cette pièce est la chambre où trône le grand lit du maître, fermé de rideaux. Dans les pièces situées au-dessus se trouve le dortoir fermé des filles, et celui – ouvert – des garçons. Le donjon s’entoure de remparts qui forment un carré aux coins duquel sont élevées des tours. Ce schéma de base s’enrichit selon les époques et les régions, de nombreuses variantes – la visite des châteaux de la Loire vous en donnera quelques exemples.
Il existe de multiples catégories de châtelains qui englobent des propriétés allant de quelques champs à d’immenses domaines auxquels sont joints des abbayes. Le terme châtelain ou noble recouvre donc une réalité disparate, mais qui peut cependant être observée afin de rendre compte de ce temps où se développe la féodalité. C’est Charlemagne, bien plus que Charles le Chauve ou Louis le Bègue, qui a créé les conditions nécessaires pour qu’apparaisse la féodalité. Jusqu’au temps de Charlemagne, les invasions se succédaient, le pillage et la guerre sans cesse déplaçaient les hommes de toutes les origines, nomades provisoires, qui s’installaient ici où là, étaient chassés, se trouvaient de nouvelles terres libres en abondance.
Après Charlemagne et son désir d’ordre et d’organisation, après l’envoi de ses comtes à la tête de ce qui devient des comtés – vastes zones d’influence pour ces compagnons de l’empereur qui oublient parfois qui les a envoyés –, tout se fige. Les nomades conquérants deviennent sédentaires. La plupart des terres appartiennent désormais à un propriétaire. Et les frontières sont minces. À l’intérieur de ces zones d’influences, on trouve les trois ordres de la société : ceux qui font la guerre, les nobles ; ceux qui prient, le clergé ; ceux qui travaillent pour les deux catégories précédentes, la grande majorité des habitants.