Rollon, baptisé, devient Robert et prend pour épouse la fille du roi, Gisèle. Robert (rien à voir avec les Robert, descendants de Robert le Fort), seigneur de Normandie, prend son rôle très au sérieux : il déploie un zèle considérable pour que se répande le christianisme, il relève les abbayes de leurs ruines : Saint Andrews, Jumièges. Il rebâtit les villages. C’est de cette époque que datent les noms en « beuf », de la racine bud qui signifie demeure : Elbeuf, Quilbeuf ; les noms en « fleur », de flodh signifiant baie : Harfleur, Honfleur ; le nom Dieppe, de diup : profond ; Houlgate, de gate : rue, etc. La Normandie vit en paix : plus un seul vol – on dit que les charrues peuvent dormir dans les champs –, délits et crimes rares ! Cette région devient un modèle d’organisation, elle s’agrandit. Les Normands abandonnent bientôt leur langue au profit du roman. L’intégration est complètement réussie !
L’ogre
926 : nouvelle alerte ! Les barbares sont de retour ! Quels barbares ? Ceux-là viennent tout droit des plaines centrales d’Europe. On croit que ce sont des Huns, puis on reconnaît des Avars. Ce ne sont ni les uns ni les autres, ce sont des Magyars, autrement dit des Hongrois qui viennent avec leurs chevaux auxquels ils ont l’habitude d’enlever les parties viriles afin de les rendre plus musculeux, plus dociles. Ce type de cheval est connu maintenant sous ce nom : hongre – venu de Hongrie. Et puis, les Hongrois apparaissant comme des hommes terribles, Hongrois devient hogre, puis ogre, le grand méchant ogre qui fait peur au Petit Poucet !
La progression de ce qu’il faut bien appeler la barbarie des seigneurs, pendant le temps de la féodalité, va être combattue par une force inverse : celle des moines.
Fuir le monde et ses turpitudes, devenir un modèle, et peut-être un saint ! Voilà le projet des moines.
Depuis 910, l’abbaye de Cluny, rattachée directement à l’Église de Rome, se trouvait préservée des tentations de seigneurs qui s’emparaient par la force d’autres abbayes, y nommant abbé n’importe quel chevalier qu’ils voulaient récompenser. L’abbaye de Cluny devient une référence dans une société qui cherche à sortir d’un état souvent proche de la sauvagerie. Les moines fuient le monde, l’argent, la bonne chère et, évidemment, les femmes. La paix de Dieu semble inonder les églises clunisiennes qui s’enrichissent de décorations, de dorures, grâce à l’affluence des dons des fidèles, au travail des paysans environnants. Les moines y chantent à longueur de journée des psaumes qui apportent du baume à l’âme. Ils entretiennent l’idée que la concorde est possible et que le Divin invisible saura par ces mélodies touchantes et dépouillées se laisser attendrir ; il endiguera les fléaux qui s’abattent sur la terre : famines, maladies, et cette mortalité infantile qui emporte avant l’âge de cinq ans plus de la moitié des enfants !
Les reliques de saints sont promenées dans les campagnes en temps de sécheresse ou d’inondation. Les moines de Cluny pratiquent et encouragent l’abstinence, le jeûne, ils mènent une vie exemplaire. En un peu plus d’un siècle, cet ordre monastique comptera plus de 1 000 établissements, dont 800 en France. En 1080, le pape Grégoire VII, sous la responsabilité duquel se trouvaient les Clunisiens, parvient à faire interdire que les évêques soient nommés par un autre que lui. Il interdit aussi le mariage des prêtres, et affirme que son autorité se place au-dessus de celle des princes.