Mais quand Jimmy est devenu un capo, le pouvoir lui est monté à la tête, et plus d’une fois il a passé les bornes. Combien de fois je l’ai mis en garde ?
— Arrête d’énerver Don Polsinelli, il est de la vieille école, il est persuadé que c’est toi qui as fait buter Roddy Trigger.
— Mais J’AI fait buter Roddy Trigger !
Tous les affranchis du coin m’appelaient : “Tu veux pas calmer ton copain Jimmy ?” Être l’ami de Jimmy était devenu intenable, et même suspect, et quand enfin on m’a appelé à deux heures du matin pour m’annoncer qu’on venait de retrouver mon copain d’enfance avec un fil de fer autour de la gorge, j’ai poussé un soupir de soulagement et je me suis rendormi comme un bébé.
— Tu vas rater ton vol, Zio.
Tom ne rappelle pas, lui qui doit être sur les dents depuis ma fuite, lui qui doit avoir envie de m’atomiser pour ce que j’ai fait.
— Zio ?
— Je vais changer mon billet.
— Tu vas où ?
— À Tallahassee.
— Où ça ?
— C’est la capitale de la Floride mais tout le monde pense que c’est Miami.
Durant toutes ces années de protection rapprochée, Quint et moi, quand on n’était pas dans l’affrontement, ou dans le silence du mépris, les soirs de grande nostalgie, on se mettait à parler du pays comme les deux déracinés qu’on était. Il décrivait sa baraque comme celles qu‘on voit sur les cartes de vœux, et surtout il s’attardait sur le jardin potager, avec les laitues de Karen, les pommes de terre de Karen, et les poivrons de Karen. Ah çà, il fallait l’entendre parler des poivrons de sa femme. D’ailleurs il s’émerveillait de tout quand il parlait de sa femme. Après tout, c’est normal quand on ne la voit jamais, à la longue elle devient une perfection d’épouse, c’est même ce qui risque de m’arriver en vivant à dix mille kilomètres de Maggie.