Читаем Malavita encore полностью

Et une seule nuit lui avait suffi pour renoncer. Combattre le crime consistait avant tout à le côtoyer, à s’y acclimater au point de le prendre pour objet d’étude et matériau de base, à le comprendre, à lui trouver une logique, et elle n’avait pas le courage d’imaginer l’homme qu’elle aimait aux prises avec tant de forces malsaines qu’il lui faudrait contenir. Comment savoir s’il était assez solide pour éviter que cette violence ne le ronge de l’intérieur et que sa famille n’en souffre ?

Peter, meurtri par sa décision de ne plus le voir, n’avait pourtant pu lui donner tort ; la veille encore, il avait été confronté à l’ignominie et à la bestialité à visage humain. Leur dernier soir avait été celui des larmes silencieuses et des regrets sincères, mais il ne changerait pas, elle non plus, et quand bien même chacun aurait été décidé à parcourir la moitié du chemin pour rejoindre l’autre, cette moitié leur semblait bien longue dès les premiers pas.

Aujourd’hui, il gardait une photo d’elle partout où il allait. Elle lui envoyait une carte postale à chacun de ses anniversaires.

— Hep ! À quoi vous rêvez, Bowles ?

De loin, Fred lui désignait la place vide en face de lui et la bouteille d’armagnac posée là par le chef cuisinier pour accompagner le café de l’écrivain. Les deux hommes ne s’étaient pas parlé en face à face depuis plusieurs semaines. Peter fut surpris par ce geste qui cachait à coup sûr un cadeau empoisonné.

— Venez goûter à ce truc, et ne me dites pas que vous êtes en service.

Dans le doute, Peter quitta son siège au cas où Fred, dont le penchant naturel n’était pas le partage, aurait un message à faire passer. De fait, il en avait un.

— Vous me connaissez, Bowles, je ne sais pas faire d’excuses, mais je regrette de m’être emporté au téléphone cet après-midi. Je n’aurais pas dû dire tout ce que j’ai dit, c’était stupide et vulgaire.

L’agent fédéral, entraîné à faire face à l’inattendu, n’avait rien vu venir. Des excuses ? Fred Wayne, des excuses ?

— Ça n’est pas un coup fourré, Bowles.

Entre autres raisons, Peter méprisait Fred pour sa bêtise, cette bêtise animale dans laquelle il avait été élevé, cette faillite intellectuelle et morale qui l’avait poussé à commettre les pires atrocités, et dans laquelle il lui arrivait encore de s’ébattre, via l’écrit, comme un goret dans sa bauge. Mais c’était bien cette bêtise-là qui rendait ses excuses touchantes, car rien n’émouvait plus Peter qu’un crétin qui admettait avoir eu tort. Et plus la bêtise était grande, plus les excuses étaient sincères. Peter trinqua avec Fred pour montrer que le message avait été entendu. Ils s’accordaient là une courte parenthèse de cordialité dans un désert de dédain qui semblait ne jamais devoir finir.

*

Arnold rentra à la boutique après avoir livré la dernière commande de la soirée. Sur le coup de vingt-deux heures, le petit personnel de La Parmesane, une fois la cuisine nettoyée et les comptes mis à jour, se souhaita une bonne nuit de sommeil. Après avoir baissé le rideau de fer, Maggie s’installa sur un banc public pour y fumer la seule cigarette de la journée. De là, elle pouvait apercevoir l’imposante pizzeria de Francis Bretet et son fourmillement de livreurs autour d’une dizaine de scooters alignés.

Malgré un lancement national et une campagne d’affichage, leurs « lasagnes d’aubergines au parmesan » n’avaient pas eu le succès escompté ; ceux d’en face, par un curieux phénomène de rejet, continuaient à perdre des clients. Francis Bretet fut alors mandaté par sa direction pour faire à Maggie une offre de rachat, très généreuse, disproportionnée. Le contrat prévoyait la reprise du bail, le remboursement de l’intégralité de l’emprunt, l’exclusivité sur la recette, l’interdiction d’ouvrir un commerce de cuisine à emporter à moins de cinq kilomètres d’un de leurs restaurants, une promesse d’embauche pour chacun des employés, et une très belle somme qui aurait permis à Maggie et à Clara de profiter d’une retraite dorée.

Elle soumit la question à ses collaborateurs qui chacun avaient envie de mener jusqu’au bout l’aventure de La Parmesane — leur folle équipée tiendrait ce qu’elle tiendrait. Que le meilleur gagne, répondit-elle à Bretet, sans savoir qu’à ce jeu-là les meilleurs ne gagnaient jamais.

S’ensuivit une déclaration de guerre. Le tout petit succès de La Parmesane était intolérable pour une raison bien plus profonde que ces 17 % de manque à gagner. Il niait sans aucune explication plausible la loi du profit maximal, et cette remise en question d’une logique marchande inquiétait la direction du groupe.

— Vous rendez-vous compte que vous essayez de contredire à vous seule les fondements mêmes de l’économie de marché ? lui dit Francis Bretet.

— …?

À court d’arguments, il ajouta :

— Vous n’avez pas un mari qui vous demande des comptes ?

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