Читаем Malavita encore полностью

Avec une patience d’ange, le gosse de quatorze ans, livré à lui-même, avait ouvert des notices, fait des essais, pris des mesures, découpé ses planches à la scie sauteuse et fixé ses chevilles à la perceuse. Le travail de ponçage lui avait procuré un plaisir sensuel, il avait su rendre douces au toucher des découpes rugueuses. Gêné d’avoir raté un rendez-vous qui les aurait rapprochés, Fred était passé voir comment se débrouillait son fils. En jetant un œil sur le kit de bricolage, des souvenirs lui étaient revenus en mémoire. La perceuse lui avait rappelé cette cave dans le Queens, avec ce type attaché à un radiateur, qui avait parlé à la deuxième perforation à la mèche de 16. La scie sauteuse lui avait rappelé Jurgen le maquereau, qui avait oublié de reverser un pourcentage sur ce que lui rapportaient ses filles. Il avait fallu rendre méconnaissable son cadavre, et donc se débarrasser de la tête et des mains. C’était au doux temps où l’empreinte ADN ne leur compliquait pas encore la tâche.

Fred s’était rendu à l’évidence : son fils avait monté un mur d’étagères tout seul. Et elles étaient solides, il s’y était accoudé.

— Je suis fier de toi, mon grand.

C’était faux. Il lui en voulait d’avoir abouti et de s’être passé de son père. Le gosse s’était senti fier jusqu’au vertige d’avoir fabriqué quelque chose de ses mains, et ce quelque chose ferait désormais partie de la maison, et ceux qui viendraient après eux garderaient peut-être sa bibliothèque. Warren avait, ce jour-là, associé l’idée de travail et celle de pérennité. Comment son gangster de père aurait-il pu le mettre sur la voie ?

Quelques mois après son transfert au lycée de Montélimar, il s’était inscrit à une visite au musée des Compagnons, à Lyon. On lui avait expliqué qui étaient ces ouvriers qui apprenaient leur métier à l’ancienne, en faisant un tour de France des meilleures entreprises pour parfaire leurs connaissances dans chaque spécialité. Leur périple se concluait par un « chef-d’œuvre », le condensé de toutes les techniques acquises. Le musée comptait plusieurs de ces chefs-d’œuvre, dont celui de leur guide, Bertrand Donzelot, qui aimait autant parler de son métier que l’exercer. Il s’agissait d’un escalier courbe d’une complexité et d’une esthétique uniques. En aparté, Warren lui avait demandé mille détails sur un pareil ouvrage, et le vieux maître s’était fait une joie de les lui donner. Ils s’étaient revus près de Valence, dans l’entreprise de menuiserie du vieil homme, spécialisée dans les travaux délicats, dont les parquets anciens et les escaliers courbes. Les commandes manquaient moins que les apprentis capables de se lancer dans cette carrière de haute précision.

La première réaction de Maggie fut la stupeur. Elle avait toujours connu son fils derrière un écran, prêt à foncer dans le troisième millénaire, et il leur annonçait aujourd’hui qu’il voulait devenir… artisan ?

— Au lieu de rentrer en première, je commence mon CAP de menuiserie au LEP de Montélimar, et ensuite je m’installe près de Valence, sur le plateau du Vercors, chez un maître menuisier qui sait où me loger.

La réaction de Fred ne se fit pas attendre. Il coinça son fils quelques jours plus tard, entre hommes.

— Si tu avais voulu devenir un affranchi et reprendre la carrière là où je l’ai laissée, je ne t’aurais pas encouragé. Mais j’aurais compris.

— …

— Si tu avais voulu entrer au FBI, j’aurais compris aussi. Tu aurais fait la chasse aux wiseguys pour mettre des types comme moi hors d’état de nuire. Tu l’aurais fait contre moi. Tu aurais pris la voie exactement opposée, une façon inversée de marcher sur mes traces. Mais ça… Poser des lattes de parquet…

Deux ans plus tard, son CAP en poche, Warren s’installait comme apprenti chez Bertrand Donzelot. Sur le plateau du Vercors, il se partageait entre sa chambre d’hôte, dans une petite résidence à l’orée de la forêt, et l’atelier à bois de son vieux maître. Son corps et sa musculature s’habituaient peu à peu à une nouvelle discipline, son organisme à une nouvelle hygiène de vie, et ses sens à de nouvelles surprises. Il se levait et se couchait au rythme du soleil, se consacrait à l’ouvrage, parlait peu, et profitait d’une nature sauvage qu’il ne se lassait pas d’explorer. L’hiver y était si rude que dans certains coins on circulait en chien de traîneau, et il n’était pas rare de voir des natifs se déplacer dans la neige à l’aide de raquettes. Le programme Witsec aurait pu y reloger des repentis jusqu’à la nuit des temps, impossible d’imaginer un tueur de LCN capable d’affronter un froid et un relief pareils. Ce coin-là avait été un haut lieu de la Résistance et Warren, après quelque temps sur place, ne s’en étonnait plus.

*

Bowles descendit son verre d’armagnac en deux gorgées et le reposa d’un geste sec comme sur un comptoir de bar. Il buvait rarement mais n’appréciait que l’alcool fort, suivi parfois d’une bière pour éteindre le feu, et à l’exception de ce soir, pas pendant le service.

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