Belle se demandait pourquoi Tom avait insisté pour prendre le même train qu’elle, il avait même changé son billet pour qu’ils puissent tous deux voyager en première. Mais à quoi bon faire la route ensemble s’il était d’une humeur de chien, perdu dans ses pensées. Sans doute s’en voulait-il pour la déroute de la veille ?
— Ne craignez rien, Tom, il s’en remettra.
Mais Tom se fichait bien de Fred, de sa susceptibilité, de sa déception, il se fichait de cette mascarade, il se fichait des secousses telluriques qui allaient agiter la famille Manzoni. Des années à traquer le père, des années à le protéger, à l’escorter, à le maintenir en vie, et même à le remplacer quand ses propres enfants avaient honte de lui. Manzoni, c’était aussi son propre exil, son éloignement de Karen. Manzoni, c’était sa plus grande victoire mais aussi sa malédiction. Et voilà qu’un gangster de la même engeance, le dénommé Jerry Costanza, allait lui passer sous le nez et retarder sa croisade contre le crime organisé. Tom n’avait pas trouvé de solution durant la nuit et n’avait pas le droit de ne pas en trouver. L’échec était le seul luxe qu’il ne pouvait se permettre.
Tiraillé par un tas d’injonctions contradictoires, son intuition lui dictait ce que le règlement interdisait, son instinct lui disait l’inverse de sa raison, et son inconscient le poussait à jouer un coup que sa morale rejetait. Mais le désir irrépressible de lancer les dés l’emporta.
— Belle, avez-vous déjà entendu parler de Mauro Squeglia ? Un
Belle fut étonnée de l’entendre énoncer des noms propres, a fortiori de mafieux.
— Squeglia ? Quand j’étais petite, on parlait de lui comme d’une antiquité, une espèce de pharaon. Il vit toujours ?
— Il est sous assistance respiratoire et cardiaque. Son héritier est déjà désigné. Mais les Polsinelli en auraient préféré un autre et le ton a monté des deux côtés de l’Atlantique.
C’était bien la première fois que Belle entendait Tom Quint lui donner des détails sur ses activités au sein du Bureau. Et il y en avait trop d’un coup.
— Jerry Costanza, du clan Polsinelli, a refusé de se rendre à Palerme pour régler le différend, et Giacomo Rea, le représentant des Squeglia, a rejeté une invitation à Brooklyn.
Tom ne pouvait plus s’arrêter maintenant, et Belle ne se voyait déjà plus demander :
— Après plusieurs mois de tractations, chacun a consenti à faire une partie du trajet et à retrouver l’autre en terrain neutre. Ils ont rendez-vous à Paris jeudi prochain.
— …?
— L’essentiel de leur entretien aura lieu à huis clos, dans la suite de Costanza, au Plaza. Ensuite ils iront dîner dans le restaurant de l’hôtel, et Jerry remontera dans sa chambre avant minuit. Il ne varie jamais d’un iota.
Elle craignit un instant que son père n’eût repris du service et commis quelques bêtises qui auraient des répercussions sur leur vie à tous.
— À ce dîner, Costanza va vouloir une présence féminine. En déplacement, il fait appel à la meilleure boîte d’
Belle commençait à douter que cette affaire concernât vraiment son père.
— Si tout s’était déroulé comme prévu, au lieu de cette
— Tom ? Êtes-vous vraiment en train de me demander ce que je pense que vous êtes en train de me demander ?
— Je vous ai demandé quelque chose ?
— Oui, de faire la pute pour le FBI ! C’est bien ça que je dois comprendre ?!
— Comment vous demander ça, à vous, fille de Manzoni ?
« Fille de Manzoni ». S’il avait voulu lui signifier qu’elle était mieux équipée qu’une Miranda Jansen pour ce genre de mission, il ne s’y serait pas pris autrement.
— Vous m’avez bien regardée, Tom ? Moi ?
— Encore une fois, je ne vous ai rien demandé et, même si vous étiez d’accord pour prendre la place de Miranda, je n’aurais pas le droit de vous engager. Qu’est-ce qui vous fait croire que vous avez les atouts requis pour être opérationnelle ? Vous avez exactement le genre de physique qui plaît à Jerry, vous connaissez les