François cessa enfin de se lamenter et obéit à ce besoin irrépressible de délivrer sa Belle, de la prendre dans ses bras, de lui faire une kyrielle d’enfants, de ne plus la quitter des yeux. Au fond d’un débarras, il remit la main sur une lampe-torche qu’il n’utilisait jamais ; l’objet était massif, long, noir, et pouvait servir de matraque — c’était même un argument de vente, la publicité disait
Il affronta l’agressivité du trafic, emprunta le périphérique, traça sa route dans des contrées inconnues. Ne sachant plus très bien à quoi ressemblait désormais le reste du monde, il longea plusieurs villes de banlieue qu’il imaginait toutes pleines de danger. Mais il était désormais dans l’action et plus rien ne lui paraissait insurmontable en comparaison de la peur de perdre sa Belle. Après avoir passé Saint-Cloud et Versailles, il roula encore un bon quart d’heure puis entra dans le village de Louveciennes. Cette première étape surmontée, il s’arrêta sur une place, but une longue gorgée de scotch, puis demanda au premier venu si le nom de La Reitière lui disait quelque chose.
À moins de deux kilomètres de là, à l’orée de la forêt de La Freyrie, dans une splendide propriété entourée d’un jardin à la française, quatre individus jouaient au Monopoly dans une pièce circulaire aux murs recouverts de cuir de Cordoue. Belle Wayne, Tom Quint et les agents Alden et Cole tuaient le temps comme ils pouvaient.
— C’est quoi l’équivalent de la rue de la Paix, chez nous ?
— Je ne sais plus… Le Boardwalk ?
— J’achète ! dit Cole.
Seul Tom Quint avait du mal à cacher son impatience et regardait Belle d’un œil noir.
— Qu’est-ce qu’il fout, votre sauveteur ?
— Vous m’avez donné jusqu’à demain matin.
— J’ai un vol pour Zurich à 7h30 et je le prendrai, qu’il daigne apparaître ou pas.
Belle n’en était plus si sûre. Mais quelque chose lui disait que son histoire avec François Largillière n’allait pas s’arrêter là.
— De toute façon, ajouta Quint, demain une équipe de tournage s’installe ici pour deux semaines.
— Les propriétaires n’y habitent jamais ? demanda Cole. Faut être fou comme un Français pour posséder un palace pareil et vivre ailleurs.
— L’agence m’a dit qu’on y célébrait beaucoup de mariages japonais, et que des grosses boîtes y donnaient leur fête annuelle.
— Je me demande si je n’ai pas vu un film en costumes tourné ici.
— Je ne sais pas comment je vais expliquer une telle dépense au Bureau de Washington, dit Quint.
— Boss, en attendant payez-moi le loyer sur l’avenue Mozart.
François gara son scooter près d’un chemin vicinal où une pancarte indiquait « La Reitière » et fit le tour de la propriété à pied. Il termina sa bouteille de whisky d’un trait et franchit la grille d’entrée sans s’annoncer.
— Je crois que l’énergumène est arrivé, dit Arthur Cole en revenant de la cuisine une bière à la main.
— Allez l’accueillir, dit Quint, et opposez-lui un peu de résistance.