Après m’être taillé une baguette verte comme étalon de mesure, je replongeai à l’intérieur du squelette. De la fente en forme de flèche ouverte sur le crâne, les prêtres me surprirent en train de prendre la hauteur de la dernière côte. «Qu’est-ce que cela? crièrent-ils. Tu oses mesurer notre dieu! Cela nous incombe.»
– Bien, prêtres! alors, combien lui donnez-vous de longueur?
Là-dessus, une contestation sauvage surgit entre eux au sujet de pieds et de pouces; ils s’entrebrisèrent le crâne avec leurs mesures de bois, le grand crâne en renvoyait l’écho et, saisissant cette heureuse opportunité, je terminai mes propres mesures.
Je me propose de vous les communiquer. Mais tout d’abord, il faut dire qu’en ce domaine je ne suis pas libre de donner des mesures fantaisistes selon mon bon plaisir car vous pourrez, pour vérifier mon exactitude vous référer à des autorités en matière de squelettes. Il y a, m’a-t-on dit, un musée du léviathan en Angleterre, à Hull, port baleinier de ce pays, où se trouvent de beaux échantillons de dos en rasoir et d’autres cétacés. J’ai également entendu dire que le Musée de Manchester, dans le New Hampshire, détient ce que ses propriétaires appellent: «le seul spécimen parfait d’une baleine du Groenland ou de Rivière, des États-Unis.» En outre, à Burton Constable, quelque part dans le Yorkshire, en Angleterre, un certain sir Clifford Constable possède le squelette d’un cachalot, mais d’une taille moyenne et qui n’est en rien comparable en dimensions à celui de mon ami le roi Tranquo.
Dans l’un et l’autre cas, les cétacés échoués auxquels appartenaient ces squelettes furent revendiqués par leurs propriétaires pour des motifs similaires. Le roi Tranquo s’en empara parce qu’il en avait envie et sir Clifford parce
Les dimensions du squelette que je vais maintenant donner sont copiées textuellement d’après mon bras droit sur lequel je les avais fait tatouer, car mes vagabondages effrénés de cette époque ne m’assuraient aucun autre moyen sérieux de conserver ces précieuses statistiques. Mais, vu l’espace restreint et désireux de laisser en blanc les autres parties de mon corps pour un poème que j’étais alors en train de composer – sur les endroits encore non tatoués qui pouvaient me rester – je ne me mis pas en peine des pouces en plus ou en moins, aussi bien les pouces ne devraient-ils pas entrer en ligne de compte dans une mensuration convenable de la baleine.
CHAPITRE CIII Mesures du squelette du cachalot
Tout d’abord, je souhaite vous faire un simple exposé sur la masse du léviathan vivant, dont nous allons brièvement aborder le squelette, car ce n’est pas inutile.
Selon un calcul minutieux que j’ai fait, partiellement fondé sur les estimations du capitaine Scoresby qui accorde un poids de soixante-dix tonnes à une baleine du Groenland d’une taille maximum de soixante pieds de long, selon mes calculs, dis-je, un cachalot des plus grands, de quatre-vingt-cinq à quatre-vingt-dix pieds de long et d’un peu moins de quarante pieds de diamètre là où il est le plus épais, pèsera au moins quatre-vingt-dix tonnes, de sorte qu’en comptant qu’une tonne représente le poids de treize hommes, le sien dépasserait largement celui de l’entière population d’un village de onze cent habitants.
Ne pensez-vous pas dès lors que pour s’imaginer une quelconque capacité de mouvement dans une masse pareille, un terrien doit lui prêter un cerveau gros comme un couple de bœufs sous le joug?
Je vous ai déjà parlé d’une manière ou d’une autre de son crâne, de son évent, de sa mâchoire, de ses dents, de son front, de ses nageoires et des autres diverses parties de son anatomie, je me bornerai maintenant à relever ce qu’il y a de plus intéressant dans son ossature. Mais comme le crâne colossal fait la majeure partie de son squelette, qu’il en est de loin l’élément le plus complexe et que nous n’y reviendrons pas en ce chapitre, ne manquez pas de le garder soit en mémoire, soit sous le bras faute de quoi vous n’auriez pas une idée juste de la structure générale dont nous allons parler.