Читаем Mon traître полностью

Je savais. Je le savais depuis toujours. Depuis le premier jour, je crois. J’ai eu peur pour lui au tout premier regard. Je le savais quand j’ai appris sa trahison. Il me l’avait dit. Tout le monde me l’avait dit. J’ai reposé le combiné du téléphone. Je ne ressentais rien. Nous étions le Vendredi saint, neuf ans après les accords qui ont mené au processus de paix. J’ai caché mon visage dans mes mains. Pas pour pleurer, juste pour un peu de sombre. J’ai cherché une image de lui. J’ai essayé la maison du Donegal. Son dos devant la cheminée, sa voix, le thé fumant, son regard, le poids de ses mains sur mes épaules. Mais rien. Le traître ne m’allait pas. Il me fallait quelque chose d’avant le mensonge. Une image de mon Tyrone intact. Penché sur l’établi, j’ai pressé mes yeux avec mes poings. J’étais au pied d’une estrade, bras passé autour d’un poteau de bois. Je regardais Tyrone, la poignée d’Irlandais, Tyrone, la petite assemblée, encore. J’allais de l’un à l’une en souriant. Il pleuvait. Je me souviens qu’il pleuvait. Une pluie d’embruns, qui nous venait du large et qui fouettait la baie. L’eau tombait de ma visière. Je sentais l’humide. Nous étions le 22 août 1998, sur la place de Killala, un village côtier du comté Mayo. Sans micro, les mains sur les hanches, Tyrone Meehan parlait de « l’année des français ». Il rappelait qu’ici même, deux cents ans auparavant, au jour près et presque à la même heure, le général Humbert et un millier de soldats français avaient débarqué de trois vaisseaux venus de La Rochelle pour défendre l’insurrection irlandaise. Il parlait en tendant le poing, me regardait au détour d’un mot. Il racontait la bataille. Une poignée de Français à la tête d’une armée de gueux venus les accueillir. Des soldats de la terre, des paysans sans rien, sans uniformes, sans armes, une foule fragile hérissée de piques, crocs d’acier fichés sur des bâtons tremblants. Il racontait les forgerons, les maréchaux-ferrants, les jeunes et les vieux qui avaient forgé ces lances dérisoires de village en village. Il racontait l’ennemi anglais, ses livrées rouges, sa puissance, la force de ses armes. Il racontait notre défaite.

Je le regardais. Je souriais. Il portait la chemise bleu ciel que je lui avais rapportée de Paris.

— Ma chemise de ministre, disait Tyrone.

Il la lavait le soir, au savon goudronné dans l’évier de la salle de bains, et la laissait sécher la nuit pour la remettre le jour d’après. Parfois, elle était encore humide. Ce matin-là, elle l’était. Face à Tyrone, quelques dizaines à peine. Des gens âgés, peu de jeunes, cinq ou six enfants. Deux gamins brandissaient un drapeau irlandais. Une fillette avait fabriqué un étendard français. Rouge, blanc, bleu, qu’elle avait monté à l’envers sur un bâton de bois. Lorsqu’il a fini de parler, Tyrone Meehan a été applaudi. On était venu pour l’entendre, mais aussi pour le voir. Il venait de Belfast. Son nom était connu. Il avait fait de la prison. On le voyait en photo à côté des plus grands. Il avait connu Bobby Sands en cellule. Il était grave et drôle à la fois. Lorsqu’il est descendu de l’estrade, il a passé son bras autour de mon épaule et m’a appelé « général Tony ». Il m’a demandé s’il avait été bien, si les gens écoutaient. Si j’étais content de lui. Il a refusé un parapluie en disant que ce temps lui allait. Il a arrangé sa casquette. J’ai arrangé la mienne. Nous avons relevé nos cols de veste en marchant vers le pub.

Ce soir-là, Tyrone m’a fait parler de moi. De mon père, de ma mère, de mon frère, de mon métier. Il voulait savoir ce qu’étaient les Vosges, l’enfance française, il voulait connaître le nom de mes vins, le nom de mes arbres. Il écoutait, coudes sur la table et joues dans ses mains. Il buvait sa bière à longs sourires. Il me regardait droit, me faisait répéter les mots, riait de ne pas tout comprendre. Ici aussi, dans ce pub minuscule, dans ce village de rien, des hommes venaient lui toucher l’épaule, des femmes lui prenaient la main. Des gens qui n’étaient pas à la cérémonie s’excusaient de leur absence. J’ai parlé, jamais autant, je crois. Je lui ai raconté mes amitiés, mes amours aussi. Ces quelques filles qui ont préféré ma peau au bois des violons, qui n’aimaient de mon métier que la musique, qui me moquaient parce que je ne savais rien de l’actualité, d’un livre, d’un auteur ou d’un film. Qui rougissaient de moi en compagnie des autres. Qui m’ont tourné le dos dès que l’Irlande est entrée. Et puis Tyrone Meehan a parlé à son tour. Nous avions six pintes vides sur la table et trois autres à boire. Il m’a raconté ses frères, ses sœurs.

— Onze ? j’ai demandé – Onze, a souri Tyrone.

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