J’étais
le bienvenu. Comme ça. Le bienvenu pour rien, juste le
bienvenu. Je me suis assis dans le fauteuil de Jim. Avec mes quelques
mots d’anglais, j’ai expliqué Dublin, mon
anniversaire, mon métier. Cathy et Jim écoutaient avec
attention. Ils m’ont demandé ce que je pensais de la
situation. Je n’ai pas su répondre. Jim a dit que
j’avais bien le temps de comprendre. Tout était simple,
intime, chaleureux. Jim m’a montré une harpe en bois,
posée sur la cheminée. Une sculpture avec les mots
Le visage du gamin a souri longtemps sur le mur, en face de leur maison. Il y avait d’autres fresques sur les briques du quartier. Des peintures guerrières. Des soldats clandestins fusils haut. Les visages des héros de la République. Pearse, Plunkett, mon grand homme à col rond. Et puis il y avait Denis O’Leary, son regard de gosse qui accueillait ses parents chaque matin sur le seuil de la rue. La peinture murale a été refaite une fois, une autre, et puis le temps a passé. Un matin, lorsque Jim est sorti, des jeunes républicains tournaient la peinture dans leurs seaux. C’est eux qui entretenaient la mémoire des murs. Le sourire de Denis était pâle. Ses cheveux blonds, gris de pluie. Comme ils le faisaient dans tous les ghettos nationalistes, les policiers passaient en trombe et jetaient des sacs de peinture colorée sur les œuvres fragiles. Deux explosions bleues souillaient le front de Denis et une autre, jaune, s’étalait en tache au-dessous de son œil. Jim s’est avancé vers les jeunes. Il a regardé son fils maculé, et puis le ciel, et puis la rue. Il a mis les poings dans ses poches. Il a dit qu’il fallait laisser ça comme ça. Que cela suffisait. Que le mur finirait bien par reprendre ses briques. Qu’il fallait laisser le sourire de son fils s’en aller doucement.
Jim écoutait Cathy me parler de Denis. Il avait un autre visage. Elle avait un autre visage aussi. Quelque chose de plomb dans les yeux, dans le front, dans la voix, même. Une dureté infinie. Ces visages, j’apprendrais à les connaître, d’année en année et de colères en drames. Je les verrais partout. Je les reconnaîtrais. Devant moi, chaque Irlandais portera un jour ce masque de guerre. Cathy a posé un baiser sur le bout de ses doigts. Elle a effleuré la photo de leur fils. Et puis elle m’a souri. Tout en elle était redevenu silencieux.
Nous avons échangé nos adresses. Cathy et Jim étaient venus à Paris en voyage de noces. Ils connaissaient Montmartre, le Moulin-Rouge et
— Je te présente Brian. Il te raccompagne.
Jusqu’à
la gare, Brian n’a rien dit. J’étais assis à
côté de lui. Je regardais ses tatouages. Sur ses
avant-bras, le tricolore de la République, les lettres