Il chevauche de Grenoble à Lyon, au milieu de l'enthousiasme. Au faubourg de la Guillotière, la foule est si dense qu'il ne peut avancer. Macdonald et le comte d'Artois se sont enfuis. On hurle autour de lui : « À bas les prêtres ! », « Mort aux royalistes ! », « À la lanterne, les ci-devant ! », « À l'échafaud, les Bourbons ! », « Vive Napoléon, vive l'Empereur ! »
Il avait arrêté la Révolution, canalisé cette énergie chaotique qui naissait d'elle, et voici qu'elle se répand à nouveau, par la faute de ces Bourbons qui n'ont rien appris et rien oublié.
Il entre dans l'archevêché, occupe les chambres et le salon quittés le matin même par le comte d'Artois.
Qu'imaginait ce Bourbon, cet émigré ? Qu'il pouvait m'arrêter ?
Le lendemain, samedi 11 mars, lorsqu'il ouvre la porte de sa chambre, il sait qu'il a reconquis le pouvoir. Tous les notables de la ville sont présents à son lever, comme autrefois. Avant.
Il donne ses ordres. Il veut une revue des troupes place Bellecour. Il veut qu'on prenne note des décrets suivants : rétablissement des trois couleurs, suppression des ordres royaux, licenciements de la Maison du roi, annulation de toutes les nominations faites dans l'armée et la Légion d'honneur depuis avril 1814.
Il marche dans la pièce, les mains derrière le dos. Il jette un regard vers les secrétaires qui écrivent. Les notables écoutent respectueusement.
Il reprend.
Il bannit les émigrés rentrés depuis 1814. Il restitue les biens nationaux rendus aux émigrés. Il séquestre les biens attribués aux Bourbons depuis un an. Il dissout les Chambres et convoque au Champ de la Fédération une assemblée des électeurs de France, où la nation donnera elle-même ses lois.
Il martèle : ce sera le Champ-de-Mai.
Puis il se tourne vers Bertrand, il ordonne à la Vieille Garde en garnison à Metz de rejoindre son Empereur.
Quoi qu'en pense Oudinot qui la commande, la Vieille Garde obéira.
Il se retire un instant.
Il commence une lettre officielle à « Marie-Louise, Impératrice des Français à Schônbrunn. »
« Madame et chère amie, je suis remonté sur mon trône... »
Puis il prend un autre feuillet.
« Ma bonne amie,
« Je serai, quand tu recevras cette lettre, à Paris. Viens me rejoindre avec mon fils. J'espère t'embrasser avant la fin mars.
« Tout à toi.
« Nap. »
Il reste immobile. La fatigue tout à coup l'écrase. Et une inquiétude sourde s'empare de lui. Il ne les reverra pas.
Il entend les cris « Vive l'Empereur ».
Il sort de la chambre. Cette femme qui s'avance vers lui, c'est Marie-Françoise Pellapra. Elle est toujours belle, jeune. Jadis, jadis... Ici même, à Lyon, sur la route de l'Italie, ils avaient passé ensemble une première nuit. D'autres avaient suivi à Paris.
Marie-Françoise Pellapra lui prend les mains. Il la laisse parler. Le passé ne se recompose pas. Les êtres changent. Il vient d'apprendre que Bourrienne, son condisciple à Brienne, son secrétaire si longtemps, Bourrienne devenu le prévaricateur à Paris et à Hambourg, vient d'être nommé par Louis XVIII préfet de Police de Paris. Et qu'il a tenté en vain d'arrêter Fouché - lui, Bourrienne !
Il ne faut pas se retourner vers le passé tant que l'on peut agir et avancer.
Il quitte Lyon le lundi 13 mars 1815.
Tout au long de la route vers Villefranche-sur-Saône, il aperçoit ces paysans qui le regardent, incrédules, entourent parfois un invalide qui salue militairement, ou bien tirent de leurs poches des pièces de cinq francs, examinent l'effigie gravée puis s'écrient : « C'est bien lui ! » et lancent alors : « Vive l'Empereur ! »
Napoléon dicte au maréchal Bertrand une lettre pour le maréchal Ney.
« Mon cousin,
« Mon major général vous expédie l'ordre de marche. Je ne doute pas qu'au moment où vous aurez appris mon arrivée à Lyon vous n'ayez fait reprendre à vos troupes le drapeau tricolore. Exécutez les ordres de Bertrand et venez me joindre. Je vous recevrai comme le lendemain de la bataille de la Moskova. »