Читаем Orchéron полностью

— Elle ne les connaissait peut-être pas…

— Tout le monde les connaît. Nos ancêtres étaient tous logés à la même enseigne. Chacun de nous a reçu leur héritage, chacun de nous sait quelles sont les frontières à ne pas franchir.

— Et qu’est-ce qu’elle est devenue, cette Govira ?

— Elle et sa lignée se sont éteintes, avait répondu Jozeo dans un grand éclat de rire. Définitivement. »

Bien que les lieux fussent déserts, Jozeo avait enfermé Ankrel dans l’appentis en lui confiant que, jusqu’à la signature du pacte, seul son parrain était autorisé à contempler son visage et à entendre sa voix.

Ankrel avait beau explorer sa mémoire de fond en comble, il ne comprenait pas à quelles lois intangibles Jozeo faisait allusion. Il ne comprenait pas davantage ce qu’il fabriquait dans cet appentis qui puait le bois moisi au lieu d’être confortablement installé à la table familiale du domaine de Velaria. Il aurait été bien incapable d’expliquer les raisons qui l’avaient poussé à s’engager dans cette expédition insensée contre les umbres, à rejoindre le cercle mystérieux des couilles-à-masques, ces personnages vaguement burlesques dont les femmes brocardaient sans cesse les déguisements et l’emphase ridicules. Il existait une réponse pourtant, évidente mais tellement mortifiante qu’il répugnait à l’envisager : Jozeo avait exploité son admiration pour le manipuler, pour l’amener là où il l’avait décidé. Cependant, même si Ankrel avait eu la possibilité de soulever des montagnes de volonté et de courage pour faire marche arrière, il aurait préféré se planter son couteau dans le ventre plutôt que de revenir sur sa parole et d’affronter le mépris des lakchas. Il n’avait pas été piégé par son modèle mais par son orgueil.

La nuit était tombée, et avec elle un froid sec, lorsque la porte s’ouvrit enfin et livra passage à un protecteur des sentiers éclairé par une solarine. Il tendit à Ankrel un tissu plié ainsi qu’un objet en bois qui évoquait très vaguement un visage grimaçant.

« Mets-les. »

Il sembla à Ankrel reconnaître les intonations de Jozeo dans la voix déformée par le masque d’écorce. Il enfila la robe, coupée dans un tissu rigide, râpeux, désagréable au toucher.

« Tu devras te fabriquer ton propre uniforme une fois que tu auras scellé le pacte.

— Quel pacte ? » demanda Ankrel.

L’autre lui intima de se taire d’un geste de la main. Il hocha la tête, plaqua le masque de bois contre son visage et noua les trois lanières de cuir sur sa nuque. Les fentes oculaires, étroites, réduisaient considérablement son champ de vision. Il avait l’impression de participer à l’une de ces processions de Grande Délivrance où les enfants portaient des déguisements de tissu et d’argile censés figurer les héros de l’Estérion.

Ils sortirent dans la nuit où pas une étoile ne luisait et, toujours à la lueur de la solarine, se dirigèrent vers l’entrée principale de la grange. Ankrel, qui marchait derrière le protecteur des sentiers, sentait monter une étrange excitation en lui, une fièvre qui n’était pas seulement due à la chaleur dégagée par sa robe et son masque. Les ténèbres paraissaient subjuguées par une présence ensorcelante latente. Les deux hommes fendirent un petit groupe de gardes. Ils ne prononcèrent pas un mot, mais Ankrel vit briller par les fentes des masques des regards plus éloquents que les paroles, des regards dont l’intensité s’accordait à sa propre exaltation, la renforçait même, comme des ruisseaux venant grossir le cours d’une rivière. Il transpirait en abondance sous ses vêtements de peau et cette robe plus épaisse que la fourrure d’un yonk. Le masque lui donnait une sensation de puissance inouïe, voire d’invulnérabilité, comme si le bois renfermait un pouvoir occulte.

Ils entrèrent dans la grange qu’éclairaient une dizaine de solarines suspendues aux poutres ou posées dans des niches, s’avancèrent jusqu’au centre de l’espace nu, désert, où, d’un mouvement péremptoire du bras, son guide ordonna à Ankrel de s’arrêter. L’éclat des solarines révélait la progression du chaos en marche : des herbes avaient crevé le sol de terre battue, des pierres s’étaient effondrées du haut des murs, des ronces et des plantes grimpantes tombaient en entrelacs jaunes, verts ou rouges des brèches du plafond.

Ankrel ne parvenait pas à maîtriser ses tremblements. Chaque battement de son cœur pinçait les cordes qui partaient de sa cage thoracique pour se tendre jusqu’à son crâne, son bassin, ses jambes et ses bras. Une odeur indéfinissable, un mélange improbable de moisissure, d’essence de cluette et de graisse de yonk, imprégnait l’air aussi épais que de la boue.

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