Читаем Révolte sur la Lune полностью

Je ne tenais pas en place ; Prof, lui, lisait Keats. Quant aux barges de grain, elles continuaient de parvenir à Bombay.

Et cela me rassurait, en quelque sorte. Pour le vol entre Bombay et Agra, nous nous étions levés avant l’aube et nous avions débarqué dans une ville qui s’éveillait tout juste. Tous les Lunatiques ont leur trou, luxueux comme les tunnels Davis – forés depuis longtemps –, ou bien seulement de fortune, à même le roc ; le volume ne pose pas de problème et n’en posera sans doute pas avant des siècles.

Bombay grouille comme une véritable ruche. D’après ce que l’on m’a dit, plus d’un million d’habitants de cette cité ne possèdent pas de maison, mais seulement un emplacement sur le trottoir. Une famille peut fort bien détenir le droit (et le transmettre par testament, de génération en génération) de dormir sur un bout de trottoir de deux mètres de long sur un de large, en un lieu bien défini, devant telle ou telle boutique. Et des familles entières dorment ainsi, la mère, le père, les gosses, et parfois une grand-mère. Non, je ne l’aurais jamais cru sans le voir. À l’aurore, les boulevards, les trottoirs de Bombay et même les ponts sont couverts d’un épais tapis humain. Que font-ils tous ? Où travaillent-ils ? Comment mangent-ils ? (Ils ne semblaient pas beaucoup manger, soit dit en passant : on pouvait compter leurs côtes.)

Si je n’avais pas eu foi dans la simple arithmétique qui démontrait l’impossibilité de poursuivre les expéditions en direction de Terra sans recevoir des cargaisons de retour, j’aurais abandonné la partie. Pourtant… Urgcnep : « Un repas gratuit, cela n’existe pas », sur Luna comme à Bombay.

En fin de compte, nous avons quand même obtenu un rendez-vous avec un « Comité d’Enquête ». Prof n’avait rien demandé de tel, juste à se faire entendre par le Sénat en séance plénière et devant les caméras. La seule de cette session était celle du circuit vidéo intérieur. Tout restait confidentiel ; pas trop, heureusement, puisque j’avais quand même un petit magnétophone. Il n’a fallu que deux minutes à Prof pour s’apercevoir que ce Comité n’était constitué que de personnalités de l’Autorité Lunaire ou de leurs prête-noms.

Cela restait malgré tout une chance de parler, et Prof les a traités comme s’ils avaient le pouvoir de reconnaître l’indépendance de Luna, et l’intention de le faire. Eux, au contraire, nous ont traités comme des enfants indisciplinés ou des criminels à condamner.

On a permis à Prof de faire une déclaration officielle. Abstraction faite de toutes les fioritures, il a affirmé que Luna se présentait comme un État souverain doté d’un gouvernement de fait, qui connaissait la paix et l’ordre, avec un président provisoire et un cabinet s’occupant des affaires courantes dont les membres souhaitaient vivement retrouver leur vie privée des que le Congrès aurait promulgué une Constitution écrite… Si nous nous trouvions ici, c’était pour demander une reconnaissance officielle de Luna, pour qu’elle obtienne la place qui lui revenait dans les Conseils de l’Humanité : qu’elle devienne membre des Nations Fédérées.

Le discours de Prof prenait bien quelque liberté avec la vérité, mais personne ne pouvait s’en rendre compte. Notre « président provisoire » était un ordinateur et notre « cabinet » se composait de Wyoh, de Finn, du camarade Clayton et de Terence Sheehan, le directeur de la Pravda, plus Wolfgang Korsakov, le président du conseil d’administration de la LuNoHoCo et d’un des directeurs de la Banque de Hong-Kong Lunaire. Wyoh demeurait alors l’unique personne sur Luna à savoir qu’« Adam Selene » tenait lieu de couverture pour un ordinateur. Elle s’était même montrée fort nerveuse à cette idée.

D’ailleurs, la « lubie » d’Adam de ne jamais se laisser voir autrement que par la vidéo nous causait quelques ennuis. Nous avons fait de notre mieux pour justifier cela comme étant une « mesure de sécurité » : nous avons nous-mêmes fait exploser une petite bombe dans nos bureaux, précédemment ceux de l’Autorité à Luna City. Après cette « tentative d’assassinat », ceux parmi les camarades qui avaient le plus critiqué le refus d’Adam de se montrer en public ont exigé qu’il ne prenne plus désormais le moindre risque… et nous avons appuyé ces demandes par des éditoriaux.

Je me demandais pourtant, alors que Prof parlait à ces pompeux crétins, ce qu’ils auraient pensé s’ils avaient su que notre « président » était en réalité du matériel informatique appartenant à l’Autorité elle-même.

En fait, ils se sont contentés de le toiser avec une désapprobation manifeste, insensibles à sa rhétorique – alors qu’il s’agissait sans doute de la meilleure performance de toute sa vie, accomplie couché sur le dos, dans un microphone, sans utiliser la moindre note ni voir son auditoire.

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