— L’Autorité Lunaire ne peut en aucun cas abandonner son mandat, nous a-t-il dit solennellement. Toutefois, il ne semble pas qu’il y ait d’obstacle insurmontable pour que les colons Lunaires, s’ils font preuve d’assez de maturité politique, obtiennent une certaine autonomie. Il est possible de prendre ce vœu en considération, tout dépend de leur comportement – de
Je m’attendais à ce qu’il nous parle des quatre-vingt-dix dragons tués ; il n’y a jamais fait allusion. Je serais incapable de devenir un bon homme d’État, je ne sais pas faire abstraction des détails.
« Les destructions matérielles devront recevoir réparation, a-t-il continué. Il faudra prendre des engagements. Si cette assemblée que vous appelez le Congrès s’en porte garante, il n’est pas impossible que le comité ici présent puisse, provisoirement, considérer ce Congrès comme une agence de l’Autorité pour certaines affaires intérieures. On peut même raisonnablement envisager la création d’un gouvernement local permanent qui pourrait, avec le temps, assumer des tâches sortant des attributions du Protecteur, voire envoyer un délégué, sans droit de vote, à l’Assemblée plénière. Mais il conviendrait de mériter une telle reconnaissance.
« Une chose cependant doit être clairement entendue. Par la nature même de la loi, le principal satellite de la Terre est propriété commune de tous les peuples de la Terre. Il n’appartient pas à la poignée d’habitants qui, par un hasard de l’Histoire, y vivent. Le mandat sacré confié à l’Autorité Lunaire demeure, et ceci pour toujours, la loi suprême de la Lune de la Terre.
(«… par un hasard de l’Histoire »… je rêve ! Je m’attendais à voir Prof lui faire rentrer ces mots dans la gorge. Je pensais qu’il allait dire… non, je n’ai jamais su ce que Prof aurait dû dire.)
Prof a attendu quelques secondes, observant le silence le plus complet, puis a déclaré :
— Honorable président… qui doit donc être exilé, cette fois ?
— Comment ça ?
— Avez-vous décidé lequel d’entre vous doit être exilé ? Votre Gardien délégué n’assumera pas cette charge (ce qui était vrai, car il préférait rester vivant). Il n’exerce sa fonction que parce que nous le lui avons demandé. Si vous persistez à ne pas nous considérer indépendants, il vous faudra bien penser à envoyer un nouveau Gardien là-haut.
— Un Protecteur !
— Un Gardien. Ne jouons pas sur les mots. Si, pourtant, nous savons qui sera l’heureux élu, nous serons heureux de lui donner le titre d’« ambassadeur ». Sans doute pourrons-nous travailler avec lui et ne sera-t-il pas nécessaire de l’envoyer accompagné de soudards armés… pour violer et tuer nos femmes !
— Rappel à l’ordre ! Rappel à l’ordre ! Le témoin doit être rappelé à l’ordre !
— Ce n’est pas moi qui dois être rappelé à l’ordre, honorable président. Il s’agissait bien de viols et de meurtres. Mais c’est la du passé, tournons-nous plutôt vers l’avenir. Qui parmi vous est prêt à l’exil ? (Prof s’est efforcé de se redresser en prenant appui sur le coude : je me suis alors préparé à toute éventualité – c’était un signal convenu entre nous.) Car vous savez bien que c’est un aller simple, sans retour. Je suis né ici, et constatez quels efforts je dois fournir quand j’ai à revenir, ne serait-ce que provisoirement, sur la planète qui me rejette aujourd’hui. Nous sommes ces déchets de la Terre qui…
Il s’est évanoui. Immédiatement, je me suis levé de mon fauteuil pour m’évanouir à mon tour, en essayant de lui porter secours.
Ce n’était pas seulement de la comédie, même si j’avais suivi Prof dans son jeu : se lever brusquement sur Terra représente bel et bien un effort cardiaque terrible ; saisi par ce terrible champ de gravité, je suis tombé sur le sol.
17
Aucun de nous deux n’a été blessé. Cela a même donné matière à de savoureux titres dans la presse. J’ai rapidement transmis mes enregistrements à Stu, qui les a donnés aussitôt aux journalistes qu’il avait soudoyés. Les manchettes ne nous étaient pas toutes défavorables ; après avoir opéré quelques coupures dans mes bandes, Stu avait su entre quelles mains les remettre :