Mais de cela nous parlerons plus tard… Nous provoquions aussi brutalement que possible Terra, l’Autorité et les Nations Fédérées : les vaisseaux des N.F. ont reçu l’ordre de ne pas s’approcher de Luna à moins de dix diamètres et de ne pas se mettre sur orbite, à quelque distance que ce soit, sous peine d’être immédiatement abattus sans sommation (nous n’avons pas dit comment, puisque cela nous était tout simplement impossible). Les vaisseaux particuliers avaient l’autorisation d’alunir sous les consignes suivantes : a) qu’ils aient demandé l’autorisation préalable en fournissant le plan de vol ; b) que le vaisseau ainsi autorisé se place sous les ordres de la tour de contrôle lunaire (c’est-à-dire de Mike), à une distance de 100 000 kilomètres et qu’il suive la trajectoire indiquée, et c) qu’il ne transporte aucune arme à l’exception de trois pistolets entre les mains de trois officiers désignés. Ce dernier point devait être vérifié à l’alunissage, avant d’autoriser quiconque à quitter le vaisseau et avant que ce vaisseau ne refasse le plein de carburant ; toute violation de ces règles entraînerait la confiscation de l’appareil. Personne n’avait le droit d’en débarquer à part les membres de l’équipage responsables du chargement, du déchargement ou du ravitaillement, ainsi que les citoyens des seuls pays de Terra qui avaient reconnu Luna Libre (à savoir le Tchad qui n’avait aucun vaisseau ; Prof s’attendait cependant à voir des vaisseaux particuliers nouvellement enregistrés sous pavillon tchadien).
Nous avons naturellement publié un communiqué pour déclarer que les savants terriens encore sur Luna étaient libres de rentrer chez eux sur tout vaisseau se conformant à nos règlements. Nous invitions toutes les nations de Terra éprises de liberté à dénoncer les torts passés et à venir de l’Autorité à notre égard, nous leur demandions de nous reconnaître officiellement et les priions de commercer librement avec nous. Nous insistions sur le fait que le commerce avec Luna n’était assujetti à aucune réglementation douanière ni restriction et que notre politique gouvernementale consistait à maintenir cet état de fait. Nous appelions à l’immigration, une immigration illimitée, soulignant notre manque actuel de main-d’œuvre – une situation qui permettrait à tout immigrant de devenir immédiatement autonome. Nous vantions aussi notre régime alimentaire : la ration moyenne des adultes dépassait 4 000 calories par jour, se révélait très riche en protéines et ne coûtait pas cher (Stu avait tenu à ce qu’Adam-Mike mentionne le prix de la vodka à 100° : cinquante
Nous invitions l’Autorité Lunaire à désigner un lieu désert, éloigné des zones d’habitation, une région aride du Sahara par exemple, où nous leur ferions parvenir gratuitement une dernière barge de grain… directement, à pleine vitesse. Nous terminions par un méchant petit sermon laissant entendre que nous étions prêts à appliquer le même traitement à tous ceux qui menaçaient notre paix et que nous disposions d’un certain nombre de barges chargées sur l’aire de catapultage, toutes prêtes à être ainsi livrées sans plus de cérémonie.
Puis nous avons attendu.
Mais nous ne sommes pas restés inactifs pour autant. Nous disposions effectivement d’un certain nombre de barges ; nous les avons vidées de leur grain et rechargées avec des cailloux, non sans opérer quelques modifications à leurs transpondeurs de guidage pour que la tour de contrôle de Poona ne puisse les asservir grâce à ses signaux. Après avoir ôté leurs rétrofusées, ne laissant que les tuyères directionnelles, nous avons transporté vers la nouvelle catapulte les fusées de freinage ainsi récupérées. Notre travail le plus pénible a consisté à convoyer l’acier à proximité de la nouvelle catapulte pour le façonner ensuite en container pour gros cailloux ; c’était notre bouchon d’encombrement.
Deux jours après la publication de notre communiqué, une radio « clandestine » a commencé à émettre en direction de Terra. La transmission était faible et discontinue : ladite radio devait être cachée dans un cratère et ne pouvait sans doute émettre qu’à certaines heures, jusqu’à ce que les courageux savants terriens puissent adapter un système de répétition automatique. Elle émettait sur une fréquence proche de « la Voix de la Lune Libre », qui ne cessait pas, elle, de s’enorgueillir d’exploits imaginaires.
(Les Terriens restés sur Luna n’avaient aucune possibilité d’envoyer des signaux ; ceux qui avaient choisi de poursuivre leurs recherches étaient constamment surveillés par des stilyagi et passaient la nuit dans des casernes fermées.)