Il semblait désert de ce côté mais, vers la ville, je pouvais voir des ombres confuses et entendre le bruit des combats qui se déroulaient à l’endroit où il s’élargissait. Deux silhouettes revêtues de combinaisons pressurisées et munies de fusils se sont détachées de la foule pour se diriger vers moi. Je les ai flambées toutes les deux.
Un homme armé et revêtu d’une combinaison ressemble à tous les autres ; je pense que ces deux-là m’avaient pris pour l’un de leurs voltigeurs. De loin, ils ne m’apparaissaient pas différents des hommes de Finn, mais je n’ai pourtant pas pris le temps de réfléchir. Un nouveau débarqué ne se déplace pas de la même manière qu’un vieil habitué : il lève trop haut ses pieds et titube toujours en avançant. Non, je ne me suis pas posé de question, je ne me suis même pas dit : « Des vers de Terre !
Je les ai vus et je les ai flambés ; leurs cendres s’éparpillaient sur le sol avant que je comprenne ce que j’avais fait.
Je me suis arrêté dans l’intention de me saisir de leurs fusils mais ces derniers étaient enchaînés aux cadavres et je n’ai pas vu le moyen de les détacher : il aurait sans doute fallu une clé. J’ai en outre remarqué qu’il ne s’agissait pas de fusils laser mais de fusils comme je n’en avais encore jamais vus, de vrais flingues qui tiraient de petites balles explosives – mais, cela, je ne l’ai appris que plus tard : à cet instant, tout ce que je savais, c’est que je n’avais aucune idée de la manière de m’en servir. Ces fusils comportaient aussi à leur extrémité une sorte de couteau en forme de lance, ce que l’on appelle une « baïonnette ». J’ai essayé de m’en saisir. Mon propre pistolet ne pouvait tirer qu’une dizaine de coups à pleine puissance et, une fois déchargé, ne pouvait servir de lance ; j’ai donc pensé que ces baïonnettes seraient utiles ; l’une d’elles était tachée de sang, du sang de Lunatique, je suppose.
Au bout de quelques secondes, j’ai abandonné mon projet, utilisé mon couteau de chasse pour m’assurer qu’ils resteraient bien morts et je me suis précipité vers le lieu des combats, le doigt sur la gâchette.
C’était la cohue, pas une bataille. Ou peut-être qu’une bataille ressemble toujours à cela : une confusion, un amas bruyant de gens qui ne savent pas réellement ce qui se passe. Sur la partie la plus large du boulevard, en face du
Première chose que j’ai remarquée : le bruit. Un tapage qui emplissait mon casque entrouvert et m’assourdissait les oreilles, un véritable grondement. Je ne sais pas comment je pourrais le décrire autrement ? On pouvait percevoir tous les cris de colère que peut produire une gorge humaine, depuis les piaulements aigus des petits enfants jusqu’aux beuglements furieux des adultes. On aurait cru entendre la plus grande meute de chiens de toute l’histoire… et je me suis tout à coup rendu compte que j’apportais, moi aussi, ma contribution à ce tumulte, hurlant des injures, proférant des obscénités.
Une fille pas plus grande qu’Hazel a franchi d’un saut le garde-fou de la rampe pour venir danser à quelques centimètres des hommes de troupe qui descendaient sur nous. Armée d’une espèce de couteau de cuisine, elle l’a levé puis a frappé ; cela n’a pas dû gravement blesser ce soldat, à travers sa combinaison pressurisée, mais il est quand même tombé, et d’autres ont roulé sur lui. Un de ces soldats est alors parvenu à attraper la gamine et à lui enfoncer sa baïonnette dans la cuisse ; mais elle a disparu hors de mon champ de vision.
Je ne pouvais pas véritablement voir ce qui se passait, ou je ne peux m’en souvenir, ne me rappelant maintenant que des images instantanées, comme celle de cette petite fille disparaissant dans la foule. Je ne sais pas qui elle était et si elle a survécu ; je ne pouvais pas tirer de mon poste, car trop de gens passaient devant ma ligne de mire. À ma gauche se trouvait l’étalage en plein air d’une boutique de jouets ; je m’y suis précipité. Cela m’a permis de me trouver à un mètre environ au-dessus du trottoir du boulevard et de bien voir les vers de Terre qui se jetaient sur nous. Je me suis calé contre le mur, j’ai soigneusement visé, essayant d’atteindre en plein cœur. Au bout d’un certain temps que je ne saurais définir, je me suis aperçu que mon laser ne marchait plus, je me suis donc arrêté. Je crois que huit soldats, à cause de moi, ne sont jamais rentrés chez eux, mais je n’ai pas pris le temps de compter… et pourtant tout m’a semblé durer une éternité. Les gens avaient beau aller aussi vite que possible, il me semblait assister à un film éducatif que l’on fait passer au ralenti, presque plan par plan.